Texts/Écrits/XIXe/hugo.txt
author Patrick PIERRE <patrick.pierre@prismallia.fr>
mer., 03 avril 2013 08:00:43 +0200
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Victor HUGO
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Ce siècle avait deux ans
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Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, 
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Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, 
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Et du premier consul, déjà, par maint endroit, 
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Le front de l'empereur brisait le masque étroit. 
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Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, 
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Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole, 
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Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois 
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Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; 
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Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère, 
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Abandonné de tous, excepté de sa mère, 
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Et que son cou ployé comme un frêle roseau 
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Fit faire en même temps sa bière et son berceau. 
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Cet enfant que la vie effaçait de son livre, 
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Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre, 
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C'est moi. -
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Je vous dirai peut-être quelque jour 
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Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d'amour, 
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Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, 
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M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée, 
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Ange qui sur trois fils attachés à ses pas 
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Épandait son amour et ne mesurait pas ! 
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Ô l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie ! 
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Pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie !
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Table toujours servie au paternel foyer ! 
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Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier !
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Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse 
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Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, 
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Comment ce haut destin de gloire et de terreur 
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Qui remuait le monde aux pas de l'empereur, 
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Dans son souffle orageux m'emportant sans défense, 
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A tous les vents de l'air fit flotter mon enfance. 
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Car, lorsque l'aquilon bat ses flots palpitants, 
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L'océan convulsif tourmente en même temps 
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Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage, 
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Et la feuille échappée aux arbres du rivage !
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Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé, 
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J'ai plus d'un souvenir profondément gravé, 
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Et l'on peut distinguer bien des choses passées 
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Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. 
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Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux, 
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Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, 
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Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde, 
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Mon âme où ma pensée habite, comme un monde, 
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Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté, 
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Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté, 
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Mon plus beau temps passé sans espoir qu'il renaisse, 
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Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, 
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Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit, 
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Le livre de mon cœur à toute page écrit !
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Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées, 
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Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ;
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S'il me plaît de cacher l'amour et la douleur 
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Dans le coin d'un roman ironique et railleur ; 
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Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie, 
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Si j'entre-choque aux yeux d'une foule choisie 
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D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois 
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De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; 
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Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume, 
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Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume 
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Dans le rythme profond, moule mystérieux 
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D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; 
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C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie, 
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L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie, 
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Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, 
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Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, 
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Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore 
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Mit au centre de tout comme un écho sonore !
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D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais, 
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Et je sais d'où je viens, si j'ignore où je vais. 
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L'orage des partis avec son vent de flamme 
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Sans en altérer l'onde a remué mon âme. 
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Rien d'immonde en mon cœur, pas de limon impur 
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Qui n'attendît qu'un vent pour en troubler l'azur !
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Après avoir chanté, j'écoute et je contemple, 
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A l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple, 
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Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, 
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Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; 
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Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine 
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Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne !
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