Texts/Écrits/XIXe/hugo.txt
author Patrick PIERRE <patrick.pierre@prismallia.fr>
sam., 16 mars 2013 20:41:39 +0100
changeset 72 191d70f74bf5
parent 0 e8d6296c8d5e
permissions -rw-r--r--
Nouvel version des hotspots
patrick@0
     1
===========
patrick@0
     2
Victor HUGO
patrick@0
     3
===========
patrick@0
     4
patrick@0
     5
Ce siècle avait deux ans
patrick@0
     6
------------------------
patrick@0
     7
patrick@0
     8
Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, 
patrick@0
     9
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, 
patrick@0
    10
Et du premier consul, déjà, par maint endroit, 
patrick@0
    11
Le front de l'empereur brisait le masque étroit. 
patrick@0
    12
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, 
patrick@0
    13
Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole, 
patrick@0
    14
Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois 
patrick@0
    15
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; 
patrick@0
    16
Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère, 
patrick@0
    17
Abandonné de tous, excepté de sa mère, 
patrick@0
    18
Et que son cou ployé comme un frêle roseau 
patrick@0
    19
Fit faire en même temps sa bière et son berceau. 
patrick@0
    20
Cet enfant que la vie effaçait de son livre, 
patrick@0
    21
Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre, 
patrick@0
    22
C'est moi. -
patrick@0
    23
patrick@0
    24
Je vous dirai peut-être quelque jour 
patrick@0
    25
Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d'amour, 
patrick@0
    26
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, 
patrick@0
    27
M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée, 
patrick@0
    28
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas 
patrick@0
    29
Épandait son amour et ne mesurait pas ! 
patrick@0
    30
Ô l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie ! 
patrick@0
    31
Pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie !
patrick@0
    32
Table toujours servie au paternel foyer ! 
patrick@0
    33
Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier !
patrick@0
    34
patrick@0
    35
Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse 
patrick@0
    36
Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, 
patrick@0
    37
Comment ce haut destin de gloire et de terreur 
patrick@0
    38
Qui remuait le monde aux pas de l'empereur, 
patrick@0
    39
Dans son souffle orageux m'emportant sans défense, 
patrick@0
    40
A tous les vents de l'air fit flotter mon enfance. 
patrick@0
    41
Car, lorsque l'aquilon bat ses flots palpitants, 
patrick@0
    42
L'océan convulsif tourmente en même temps 
patrick@0
    43
Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage, 
patrick@0
    44
Et la feuille échappée aux arbres du rivage !
patrick@0
    45
patrick@0
    46
Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé, 
patrick@0
    47
J'ai plus d'un souvenir profondément gravé, 
patrick@0
    48
Et l'on peut distinguer bien des choses passées 
patrick@0
    49
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. 
patrick@0
    50
Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux, 
patrick@0
    51
Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, 
patrick@0
    52
Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde, 
patrick@0
    53
Mon âme où ma pensée habite, comme un monde, 
patrick@0
    54
Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté, 
patrick@0
    55
Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté, 
patrick@0
    56
Mon plus beau temps passé sans espoir qu'il renaisse, 
patrick@0
    57
Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, 
patrick@0
    58
Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit, 
patrick@0
    59
Le livre de mon cœur à toute page écrit !
patrick@0
    60
patrick@0
    61
Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées, 
patrick@0
    62
Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ;
patrick@0
    63
S'il me plaît de cacher l'amour et la douleur 
patrick@0
    64
Dans le coin d'un roman ironique et railleur ; 
patrick@0
    65
Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie, 
patrick@0
    66
Si j'entre-choque aux yeux d'une foule choisie 
patrick@0
    67
D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois 
patrick@0
    68
De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; 
patrick@0
    69
Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume, 
patrick@0
    70
Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume 
patrick@0
    71
Dans le rythme profond, moule mystérieux 
patrick@0
    72
D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; 
patrick@0
    73
C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie, 
patrick@0
    74
L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie, 
patrick@0
    75
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, 
patrick@0
    76
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, 
patrick@0
    77
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore 
patrick@0
    78
Mit au centre de tout comme un écho sonore !
patrick@0
    79
patrick@0
    80
D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais, 
patrick@0
    81
Et je sais d'où je viens, si j'ignore où je vais. 
patrick@0
    82
L'orage des partis avec son vent de flamme 
patrick@0
    83
Sans en altérer l'onde a remué mon âme. 
patrick@0
    84
Rien d'immonde en mon cœur, pas de limon impur 
patrick@0
    85
Qui n'attendît qu'un vent pour en troubler l'azur !
patrick@0
    86
patrick@0
    87
Après avoir chanté, j'écoute et je contemple, 
patrick@0
    88
A l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple, 
patrick@0
    89
Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, 
patrick@0
    90
Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; 
patrick@0
    91
Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine 
patrick@0
    92
Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne !
patrick@0
    93