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     5     <head>
       
     6       <title>Les Misérables (extraits)</title>
       
     7       <contributors>
       
     8         <contributor>
       
     9           <firstname>Victor</firstname><lastname>HUGO</lastname>
       
    10           <role>author</role>
       
    11         </contributor>
       
    12       </contributors>
       
    13       <date value="1862"/>
       
    14       <subjectset>
       
    15         <subject>Littérature</subject>
       
    16       </subjectset>
       
    17       <cover><image id="les_miserables_cover"/></cover>
       
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    21     <!-- =                                                                = -->
       
    22     <!-- =                             Partie 1                           = -->
       
    23     <!-- =                                                                = -->
       
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    25     <division>
       
    26       <head>
       
    27         <title>Partie 1. Fantine</title>
       
    28       </head>
       
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    30       <!-- =                            Livre 1                           = -->
       
    31       <!-- ================================================================ -->
       
    32       <division>
       
    33         <head>
       
    34           <title>Livre 1. Un juste</title>
       
    35         </head>
       
    36         <!-- ============================================================== -->
       
    37         <topic>
       
    38           <head>
       
    39             <title>1. M. Myriel</title>
       
    40           </head>
       
    41           <section>
       
    42             <p>En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque de
       
    43             Digne. C'était un vieillard d'environ soixante-quinze ans ; il
       
    44             occupait le siège de Digne depuis 1806.</p>
       
    45             <p>Quoique ce détail ne touche en aucune manière au fond même de ce
       
    46             que nous avons à raconter, il n'est peut-être pas inutile, ne
       
    47             fût-ce que pour être exact en tout, d'indiquer ici les bruits et
       
    48             les propos qui avaient couru sur son compte au moment où il était
       
    49             arrivé dans le diocèse. Vrai ou faux, ce qu'on dit des hommes tient
       
    50             souvent autant de place dans leur vie et surtout dans leur destinée
       
    51             que ce qu'ils font. M. Myriel était fils d'un conseiller au
       
    52             parlement d'Aix ; noblesse de robe. On contait de lui que son père,
       
    53             le réservant pour hériter de sa charge, l'avait marié de fort bonne
       
    54             heure, à dix-huit ou vingt ans, suivant un usage assez répandu dans
       
    55             les familles parlementaires. Charles Myriel, nonobstant ce mariage,
       
    56             avait, disait-on, beaucoup fait parler de lui. Il était bien fait
       
    57             de sa personne, quoique d'assez petite taille, élégant, gracieux,
       
    58             spirituel ; toute la première partie de sa vie avait été donnée au
       
    59             monde et aux galanteries. La révolution survint, les événements se
       
    60             précipitèrent, les familles parlementaires décimées, chassées,
       
    61             traquées, se dispersèrent. M. Charles Myriel, dès les premiers
       
    62             jours de la révolution, émigra en Italie. Sa femme y mourut d'une
       
    63             maladie de poitrine dont elle était atteinte depuis longtemps. Ils
       
    64             n'avaient point d'enfants. Que se passa-t-il ensuite dans la
       
    65             destinée de M. Myriel ? L'écroulement de l'ancienne société
       
    66             française, la chute de sa propre famille, les tragiques spectacles
       
    67             de 93, plus effrayants encore peut-être pour les émigrés qui les
       
    68             voyaient de loin avec le grossissement de l'épouvante, firent-ils
       
    69             germer en lui des idées de renoncement et de solitude ? Fut-il, au
       
    70             milieu d'une de ces distractions et de ces affections qui
       
    71             occupaient sa vie, subitement atteint d'un de ces coups mystérieux
       
    72             et terribles qui viennent quelquefois renverser, en le frappant au
       
    73             coeur, l'homme que les catastrophes publiques n'ébranleraient pas
       
    74             en le frappant dans son existence et dans sa fortune ? Nul n'aurait
       
    75             pu le dire ; tout ce qu'on savait, c'est que, lorsqu'il revint
       
    76             d'Italie, il était prêtre.</p>
       
    77             <p>En 1804, M. Myriel était curé de Brignolles. Il était déjà
       
    78             vieux, et vivait dans une retraite profonde.</p>
       
    79             <p>Vers l'époque du couronnement, une petite affaire de sa cure, on
       
    80             ne sait plus trop quoi, l'amena à Paris.  Entre autres personnes
       
    81             puissantes, il alla solliciter pour ses paroissiens M. le cardinal
       
    82             Fesch. Un jour que l'empereur était venu faire visite à son oncle,
       
    83             le digne curé, qui attendait dans l'antichambre, se trouva sur le
       
    84             passage de sa majesté. Napoléon, se voyant regardé avec une
       
    85             certaine curiosité par ce vieillard, se retourna, et dit
       
    86             brusquement :</p>
       
    87             <p>– Quel est ce bonhomme qui me regarde ?</p>
       
    88             <p>– Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme, et moi je
       
    89             regarde un grand homme. Chacun de nous peut profiter.</p>
       
    90             <p>L'empereur, le soir même, demanda au cardinal le nom de ce curé,
       
    91             et quelque temps après M. Myriel fut tout surpris d'apprendre qu'il
       
    92             était nommé évêque de Digne.</p>
       
    93             <p>Qu'y avait-il de vrai, du reste, dans les récits qu'on faisait
       
    94             sur la première partie de la vie de M.  Myriel ? Personne ne le
       
    95             savait. Peu de familles avaient connu la famille Myriel avant la
       
    96             révolution.</p>
       
    97             <p>M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une
       
    98             petite ville où il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu
       
    99             de têtes qui pensent. Il devait le subir, quoiqu'il fût évêque et
       
   100             parce qu'il était évêque. Mais, après tout, les propos auxquels on
       
   101             mêlait son nom n'étaient peut-être que des propos ; du bruit, des
       
   102             mots, des paroles ; moins que des paroles, des palabres, comme dit
       
   103             l'énergique langue du midi.</p>
       
   104             <p>Quoi qu'il en fût, après neuf ans d'épiscopat et de résidence à
       
   105             Digne, tous ces racontages, sujets de conversation qui occupent
       
   106             dans le premier moment les petites villes et les petites gens,
       
   107             étaient tombés dans un oubli profond. Personne n'eût osé en parler,
       
   108             personne n'eût même osé s'en souvenir.</p>
       
   109             <p>M. Myriel était arrivé à Digne accompagné d'une vieille fille,
       
   110             mademoiselle Baptistine, qui était sa soeur et qui avait dix ans de
       
   111             moins que lui.</p>
       
   112             <p>Ils avaient pour tout domestique une servante du même âge que
       
   113             mademoiselle Baptistine, et appelée madame Magloire, laquelle,
       
   114             après avoir été <mentioned>la servante de M. le Curé</mentioned>,
       
   115             prenait maintenant le double titre de femme de chambre de
       
   116             mademoiselle et femme de charge de monseigneur.</p>
       
   117             <p>Mademoiselle Baptistine était une personne longue, pâle, mince,
       
   118             douce ; elle réalisait l'idéal de ce qu'exprime le mot
       
   119             « respectable » ; car il semble qu'il soit nécessaire qu'une femme
       
   120             soit mère pour être vénérable.  Elle n'avait jamais été jolie ;
       
   121             toute sa vie, qui n'avait été qu'une suite de saintes oeuvres,
       
   122             avait fini par mettre sur elle une sorte de blancheur et de
       
   123             clarté ; et, en vieillissant, elle avait gagné ce qu'on pourrait
       
   124             appeler la beauté de la bonté. Ce qui avait été de la maigreur dans
       
   125             sa jeunesse était devenu, dans sa maturité, de la transparence ; et
       
   126             cette diaphanéité laissait voir l'ange. C'était une âme plus encore
       
   127             que ce n'était une vierge.  Sa personne semblait faite d'ombre ; à
       
   128             peine assez de corps pour qu'il y eût là un sexe ; un peu de
       
   129             matière contenant une lueur ; de grands yeux toujours baissés ; un
       
   130             prétexte pour qu'une âme reste sur la terre.</p>
       
   131             <p>Madame Magloire était une petite vieille, blanche, grasse,
       
   132             replète, affairée, toujours haletante, à cause de son activité
       
   133             d'abord, ensuite à cause d'un asthme.</p>
       
   134             <p>A son arrivée, on installa M. Myriel en son palais épiscopal
       
   135             avec les honneurs voulus par les décrets impériaux qui classent
       
   136             l'évêque immédiatement après le maréchal de camp. Le maire et le
       
   137             président lui firent la première visite, et lui de son côté fit la
       
   138             première visite au général et au préfet.</p>
       
   139             <p>L'installation terminée, la ville attendit son évêque à
       
   140             l'oeuvre.</p>
       
   141           </section>
       
   142         </topic>
       
   143         <!-- ============================================================== -->
       
   144         <topic>
       
   145           <head>
       
   146             <title>2. M. Myriel devient monseigneur Bienvenu</title>
       
   147           </head>
       
   148           <section>
       
   149             <p>Le palais épiscopal de Digne était attenant à l'hôpital.</p>
       
   150             <p>Le palais épiscopal était un vaste et bel hôtel bâti en pierre
       
   151             au commencement du siècle dernier par monseigneur Henri Puget,
       
   152             docteur en théologie de la faculté de Paris, abbé de Simore, lequel
       
   153             était évêque de Digne en 1712. Ce palais était un vrai logis
       
   154             seigneurial. Tout y avait grand air, les appartements de l'évêque,
       
   155             les salons, les chambres, la cour d'honneur, fort large, avec
       
   156             promenoirs à arcades, selon l'ancienne mode florentine, les jardins
       
   157             plantés de magnifiques arbres. Dans la salle à manger, longue et
       
   158             superbe galerie qui était au rez-de-chaussée et s'ouvrait sur les
       
   159             jardins, monseigneur Henri Puget avait donné à manger en cérémonie
       
   160             le 29 juillet 1714 à messeigneurs Charles Brûlart de Genlis,
       
   161             archevêque-prince d'Embrun, Antoine de Mesgrigny, capucin, évêque
       
   162             de Grasse, Philippe de Vendôme, grand prieur de France, abbé de
       
   163             Saint-Honoré de Lérins, François de Berton de Grillon, évêque-baron
       
   164             de Vence, César de Sabran de Forcalquier, évêque-seigneur de
       
   165             Glandève, et Jean Soanen, prêtre de l'oratoire, prédicateur
       
   166             ordinaire du roi, évêque-seigneur de Senez. Les portraits de ces
       
   167             sept révérends personnages décoraient cette salle, et cette date
       
   168             mémorable, 29 juillet 1714, y était gravée en lettres d'or sur une
       
   169             table de marbre blanc.</p>
       
   170             <p>L'hôpital était une maison étroite et basse à un seul étage avec
       
   171             un petit jardin.</p>
       
   172             <p>Trois jours après son arrivée, l'évêque visita l'hôpital. La
       
   173             visite terminée, il fit prier le directeur de vouloir bien venir
       
   174             jusque chez lui.</p>
       
   175             <p>– Monsieur le directeur de l'hôpital, lui dit-il, combien en ce
       
   176             moment avez-vous de malades ?</p>
       
   177             <p>– Vingt-six, monseigneur.</p>
       
   178             <p>– C'est ce que j'avais compté, dit l'évêque.</p>
       
   179             <p>– Les lits, reprit le directeur, sont bien serrés les uns contre
       
   180             les autres.</p>
       
   181             <p>– C'est ce que j'avais remarqué.</p>
       
   182             <p>– Les salles ne sont que des chambres, et l'air s'y renouvelle
       
   183             difficilement.</p>
       
   184             <p>– C'est ce qui me semble.</p>
       
   185             <p>– Et puis, quand il y a un rayon de soleil, le jardin est bien
       
   186             petit pour les convalescents.</p>
       
   187             <p>– C'est ce que je me disais.</p>
       
   188             <p>– Dans les épidémies, nous avons eu cette année le typhus, nous
       
   189             avons eu une suette militaire il y a deux ans, cent malades
       
   190             quelquefois ; nous ne savons que faire.</p>
       
   191             <p>– C'est la pensée qui m'était venue.</p>
       
   192             <p>– Que voulez-vous, monseigneur ? dit le directeur, il faut se
       
   193             résigner.</p>
       
   194             <p>Cette conversation avait lieu dans la salle à manger-galerie du
       
   195             rez-de-chaussée.</p>
       
   196             <p>L'évêque garda un moment le silence, puis il se tourna
       
   197             brusquement vers le directeur de l'hôpital :</p>
       
   198             <p>– Monsieur, dit-il, combien pensez-vous qu'il tiendrait de lits
       
   199             rien que dans cette salle ?</p>
       
   200             <p>– La salle à manger de monseigneur ! s'écria le directeur
       
   201             stupéfait.</p>
       
   202             <p>L'évêque parcourait la salle du regard et semblait y faire avec
       
   203             les yeux des mesures et des calculs.</p>
       
   204             <p>– Il y tiendrait bien vingt lits ! dit-il, comme se parlant à
       
   205             lui-même.</p>
       
   206             <p>Puis élevant la voix : – Tenez, monsieur le directeur de
       
   207             l'hôpital, je vais vous dire. Il y a évidemment une erreur. Vous
       
   208             êtes vingt-six personnes dans cinq ou six petites chambres. Nous
       
   209             sommes trois ici, et nous avons place pour soixante. Il y a erreur,
       
   210             je vous dis. Vous avez mon logis, et j'ai le vôtre. Rendez-moi ma
       
   211             maison. C'est ici chez vous.</p>
       
   212             <p>Le lendemain, les vingt-six pauvres étaient installés dans le
       
   213             palais de l'évêque et l'évêque était à l'hôpital.</p>
       
   214             <p>M. Myriel n'avait point de bien, sa famille ayant été ruinée par
       
   215             la révolution. Sa soeur touchait une rente viagère de cinq cents
       
   216             francs qui, au presbytère, suffisait à sa dépense
       
   217             personnelle. M. Myriel recevait de l'état comme évêque un
       
   218             traitement de quinze mille francs. Le jour même où il vint se loger
       
   219             dans la maison de l'hôpital, M.  Myriel détermina l'emploi de cette
       
   220             somme une fois pour toutes de la manière suivante. Nous
       
   221             transcrivons ici une note écrite de sa main.</p>
       
   222             <p>Note pour régler les dépenses de ma maison.</p>
       
   223             <p>Pour le petit séminaire : quinze cents livres.</p>
       
   224             <p>Congrégation de la mission : cent livres.</p>
       
   225             <p>Pour les lazaristes de Montdidier : cent livres.</p>
       
   226             <p>Séminaire des missions étrangères à Paris : deux cents livres.</p>
       
   227             <p>Congrégation du Saint-Esprit : cent cinquante livres.</p>
       
   228             <p>Etablissements religieux de la Terre-Sainte : cent livres.</p>
       
   229             <p>Sociétés de charité maternelle : trois cents livres.</p>
       
   230             <p>En sus, pour celle d'Arles : cinquante livres.</p>
       
   231             <p>Oeuvre pour l'amélioration des prisons : quatre cents livres.</p>
       
   232             <p>Oeuvre pour le soulagement et la délivrance des prisonniers : cinq
       
   233             cents livres.</p>
       
   234             <p>Pour libérer des pères de famille prisonniers pour dettes : mille
       
   235             livres.</p>
       
   236             <p>Supplément au traitement des pauvres maîtres d'école du diocèse :
       
   237             deux mille livres.</p>
       
   238             <p>Grenier d'abondance des Hautes-Alpes : cent livres.</p>
       
   239             <p>Congrégation des dames de Digne, de Manosque et de Sisteron, pour
       
   240             l'enseignement gratuit des filles indigentes : quinze mille
       
   241             livres.</p>
       
   242             <p>Pour les pauvres : six mille livres.</p>
       
   243             <p>Ma dépense personnelle : mille livres.</p>
       
   244             <p>Total : quinze mille livres.</p>
       
   245             <p>Pendant tout le temps qu'il occupa le siège de Digne, M. Myriel
       
   246             ne changea presque rien à cet arrangement. Il appelait cela, comme
       
   247             on voit, <mentioned>avoir réglé les dépenses de sa
       
   248             maison</mentioned>.</p>
       
   249             <p>Cet arrangement fut accepté avec une soumission absolue par
       
   250             mademoiselle Baptistine. Pour cette sainte fille, M. de Digne était
       
   251             tout à la fois son frère et son évêque, son ami selon la nature et
       
   252             son supérieur selon l'église.  Elle l'aimait et elle le vénérait
       
   253             tout simplement. Quand il parlait, elle s'inclinait ; quand il
       
   254             agissait, elle adhérait. La servante seule, madame Magloire,
       
   255             murmura un peu. M. l'évêque, on l'a pu remarquer, ne s'était
       
   256             réservé que mille livres, ce qui, joint à la pension de
       
   257             mademoiselle Baptistine, faisait quinze cents francs par an. Avec
       
   258             ces quinze cents francs, ces deux vieilles femmes et ce vieillard
       
   259             vivaient.</p>
       
   260             <p>Et quand un curé de village venait à Digne, M. l'évêque trouvait
       
   261             encore moyen de le traiter, grâce à la sévère économie de madame
       
   262             Magloire et à l'intelligente administration de mademoiselle
       
   263             Baptistine.</p>
       
   264             <p>Un jour, – il était à Digne depuis environ trois mois, – l'évêque
       
   265             dit :</p>
       
   266             <p>– Avec tout cela je suis bien gêné !</p>
       
   267             <p>– Je le crois bien ! s'écria madame Magloire, Monseigneur n'a
       
   268             seulement pas réclamé la rente que le département lui doit pour ses
       
   269             frais de carrosse en ville et de tournées dans le diocèse. Pour les
       
   270             évêques d'autrefois c'était l'usage.</p>
       
   271             <p>– Tiens ! dit l'évêque, vous avez raison, madame Magloire.</p>
       
   272             <p>Il fit sa réclamation.</p>
       
   273             <p>Quelque temps après, le conseil général, prenant cette demande en
       
   274             considération, lui vota une somme annuelle de trois mille francs,
       
   275             sous cette rubrique : <mentioned>Allocation à M. l'évêque pour frais
       
   276             de carrosse, frais de poste et frais de tournées
       
   277             pastorales</mentioned>.</p>
       
   278             <p>Cela fit beaucoup crier la bourgeoisie locale, et, à cette
       
   279             occasion, un sénateur de l'empire, ancien membre du conseil des
       
   280             cinq-cents favorable au dix-huit brumaire et pourvu près de la
       
   281             ville de Digne d'une sénatorerie magnifique, écrivit au ministre
       
   282             des cultes, M. Bigot de Préameneu, un petit billet irrité et
       
   283             confidentiel dont nous extrayons ces lignes authentiques :</p>
       
   284             <p>"– Des frais de carrosse ? pourquoi faire dans une ville de moins
       
   285             de quatre mille habitants ? Des frais de poste et de tournées ? à
       
   286             quoi bon ces tournées d'abord ? ensuite comment courir la poste dans
       
   287             un pays de montagnes ? Il n'y a pas de routes. On ne va qu'à
       
   288             cheval. Le pont même de la Durance à Château-Arnoux peut à peine
       
   289             porter des charrettes à boeufs. Ces prêtres sont tous ainsi. Avides
       
   290             et avares. Celui-ci a fait le bon apôtre en arrivant. Maintenant il
       
   291             fait comme les autres. Il lui faut carrosse et chaise de poste. Il
       
   292             lui faut du luxe comme aux anciens évêques. Oh ! toute cette
       
   293             prêtraille ! Monsieur le comte, les choses n'iront bien que lorsque
       
   294             l'empereur nous aura délivrés des calotins. A bas le pape ! (les
       
   295             affaires se brouillaient avec Rome). Quant à moi, je suis pour César
       
   296             tout seul. Etc., etc."</p>
       
   297             <p>La chose, en revanche, réjouit fort madame Magloire. – Bon,
       
   298             dit-elle à mademoiselle Baptistine, Monseigneur a commencé par les
       
   299             autres, mais il a bien fallu qu'il finit par lui-même. Il a réglé
       
   300             toutes ses charités.</p>
       
   301             <p>Voilà trois mille livres pour nous. Enfin !</p>
       
   302             <p>Le soir même, l'évêque écrivit et remit à sa soeur une note ainsi
       
   303             conçue :</p>
       
   304             <p>Frais de carrosse et de tournées.</p>
       
   305             <p>Pour donner du bouillon de viande aux malades de l'hôpital :
       
   306             quinze cents livres.</p>
       
   307             <p>Pour la société de charité maternelle d'Aix : deux cent cinquante
       
   308             livres.</p>
       
   309             <p>Pour la société de charité maternelle de Draguignan : deux cent
       
   310             cinquante livres.</p>
       
   311             <p>Pour les enfants trouvés : cinq cent livres.</p>
       
   312             <p>Pour les orphelins : cinq cent livres.</p>
       
   313             <p>Total : trois mille livres.</p>
       
   314             <p>Tel était le budget de M. Myriel.</p>
       
   315             <p>Quant au casuel épiscopal, rachats de bans, dispenses,
       
   316             ondoiements, prédications, bénédictions d'églises ou de chapelles,
       
   317             mariages, etc., l'évêque le percevait sur les riches avec d'autant
       
   318             plus d'âpreté qu'il le donnait aux pauvres.</p>
       
   319             <p>Au bout de peu de temps, les offrandes d'argent affluèrent. Ceux
       
   320             qui ont et ceux qui manquent frappaient à la porte de M. Myriel,
       
   321             les uns venant chercher l'aumône que les autres venaient y
       
   322             déposer. L'évêque, en moins d'un an, devint le trésorier de tous
       
   323             les bienfaits et le caissier de toutes les détresses. Des sommes
       
   324             considérables passaient par ses mains ; mais rien ne put faire
       
   325             qu'il changeât quelque chose à son genre de vie et qu'il ajoutât le
       
   326             moindre superflu à son nécessaire.</p>
       
   327             <p>Loin de là. Comme il y a toujours encore plus de misère en bas
       
   328             que de fraternité en haut, tout était donné, pour ainsi dire, avant
       
   329             d'être reçu ; c'était comme de l'eau sur une terre sèche ; il avait
       
   330             beau recevoir de l'argent, il n'en avait jamais. Alors il se
       
   331             dépouillait.</p>
       
   332             <p>L'usage étant que les évêques énoncent leurs noms de baptême en
       
   333             tête de leurs mandements et de leurs lettres pastorales, les pauvres
       
   334             gens du pays avaient choisi, avec une sorte d'instinct affectueux,
       
   335             dans les noms et prénoms de l'évêque, celui qui leur présentait un
       
   336             sens, et ils ne l'appelaient que monseigneur Bienvenu. Nous ferons
       
   337             comme eux, et nous le nommerons ainsi dans l'occasion. Du reste,
       
   338             cette appellation lui plaisait. – J'aime ce nom-là,
       
   339             disait-il. Bienvenu corrige monseigneur.</p>
       
   340             <p>Nous ne prétendons pas que le portrait que nous faisons ici soit
       
   341             vraisemblable ; nous nous bornons à dire qu'il est ressemblant.</p>
       
   342           </section>
       
   343         </topic>
       
   344         <!-- ============================================================== -->
       
   345         <topic>
       
   346           <head>
       
   347             <title>3. A bon évêque dur évêché</title>
       
   348           </head>
       
   349           <section>
       
   350             <p>…</p>
       
   351           </section>
       
   352         </topic>
       
   353       </division>
       
   354 
       
   355       <!-- ================================================================ -->
       
   356       <!-- =                              Livre 2                         = -->
       
   357       <!-- ================================================================ -->
       
   358       <division>
       
   359         <head>
       
   360           <title>Livre 2. La chute</title>
       
   361         </head>
       
   362         <!-- ============================================================== -->
       
   363         <topic>
       
   364           <head>
       
   365             <title>1. Le soir d'un jour de marche</title>
       
   366           </head>
       
   367           <section>
       
   368             <p>…</p>
       
   369           </section>
       
   370         </topic>
       
   371       </division>
       
   372     </division>
       
   373 
       
   374     <!-- ================================================================== -->
       
   375     <!-- =                                                                = -->
       
   376     <!-- =                              Partie 2                          = -->
       
   377     <!-- =                                                                = -->
       
   378     <!-- ================================================================== -->
       
   379     <division>
       
   380       <head>
       
   381         <title>Partie 2. Cosette</title>
       
   382       </head>
       
   383       <!-- ================================================================ -->
       
   384       <!-- =                             Livre 1                          = -->
       
   385       <!-- ================================================================ -->
       
   386       <division>
       
   387         <head>
       
   388           <title>Livre 1. Waterloo</title>
       
   389         </head>
       
   390         <!-- ============================================================== -->
       
   391         <topic>
       
   392           <head>
       
   393             <title>1. Ce qu'on rencontre en venant de Nivelles</title>
       
   394           </head>
       
   395           <section>
       
   396             <p>L'an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant,
       
   397             celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se
       
   398             dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux
       
   399             rangées d'arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des
       
   400             collines qui viennent l'une après l'autre, soulèvent la route et la
       
   401             laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait
       
   402             dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l'ouest,
       
   403             le clocher d'ardoise de Braine-l'Alleud qui a la forme d'un vase
       
   404             renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une
       
   405             hauteur, et, à l'angle d'un chemin de traverse, à côté d'une espèce
       
   406             de potence vermoulue portant l'inscription : <mentioned>Ancienne
       
   407             barrière no 4</mentioned>, un cabaret ayant sur sa façade cet
       
   408             écriteau : <mentioned>Au quatre vents. Echabeau, café de
       
   409             particulier</mentioned>.</p>
       
   410             <p>Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au
       
   411             fond d'un petit vallon où il y a de l'eau qui passe sous une arche
       
   412             pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d'arbres,
       
   413             clairsemé mais très vert, qui emplit le vallon d'un côté de la
       
   414             chaussée, s'éparpille de l'autre dans les prairies et s'en va avec
       
   415             grâce et comme en désordre vers Braine-l'Alleud.</p>
       
   416             <p>Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une
       
   417             charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de
       
   418             perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près
       
   419             d'une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une
       
   420             échelle le long d'un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune
       
   421             fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune,
       
   422             probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au
       
   423             vent. A l'angle de l'auberge, à côté d'une mare où naviguait une
       
   424             flottille de canards, un sentier mal pavé s'enfonçait dans les
       
   425             broussailles. Ce passant y entra.</p>
       
   426             <p>Au bout d'une centaine de pas, après avoir longé un mur du
       
   427             quinzième siècle surmonté d'un pignon aigu à briques contrariées,
       
   428             il se trouva en présence d'une grande porte de pierre cintrée, avec
       
   429             imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de
       
   430             deux médaillons planes. Une façade sévère dominait cette porte ; un
       
   431             mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et
       
   432             la flanquait d'un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte
       
   433             gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle
       
   434             toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour
       
   435             clôture deux battants décrépits ornés d'un vieux marteau
       
   436             rouillé.</p>
       
   437             <p>Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux
       
   438             frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du
       
   439             vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait
       
   440             éperdument dans un grand arbre.</p>
       
   441             <p>Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au
       
   442             bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation
       
   443             circulaire ressemblant à l'alvéole d'une sphère. En ce moment les
       
   444             battants s'écartèrent et une paysanne sortit.</p>
       
   445             <p>Elle vit le passant et aperçut ce qu'il regardait.</p>
       
   446             <p>– C'est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle
       
   447             ajouta :</p>
       
   448             <p>– Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d'un clou,
       
   449             c'est le trou d'un gros biscayen. Le biscayen n'a pas traversé le
       
   450             bois.</p>
       
   451             <p>– Comment s'appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.</p>
       
   452             <p>– Hougomont, dit la paysanne.</p>
       
   453             <p>Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s'en alla regarder
       
   454             au-dessus des haies. Il aperçut à l'horizon à travers les arbres une
       
   455             espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin,
       
   456             ressemblait à un lion.</p>
       
   457             <p>Il était dans le champ de bataille de Waterloo.</p>
       
   458           </section>
       
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