Texts/LaFontaine/le_chêne_et_le_roseau.txt
author Patrick PIERRE
jeu., 21 mars 2013 12:55:51 +0100
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LE CHÊNE ET LE ROSEAU

Le chêne un jour dit au roseau : 
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature ; 
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ; 
Le moindre vent qui d'aventure 
Fait rider la face de l'eau, 
Vous oblige à baisser la tête. 
Cependant que mon front, au Caucase pareil, 
Non content d'arrêter les rayons du soleil, 
Brave l'effort de la tempête. 
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphyr. 
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage 
Dont je couvre le voisinage, 
Vous n'auriez pas tant à souffrir : 
Je vous défendrai de l'orage ; 
Mais vous naissez le plus souvent 
Sur les humides bords des royaumes du vent. 
La nature envers vous me semble bien injuste. 
- Votre compassion, lui répondit l'arbuste, 
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci : 
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables ; 
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici 
Contre leurs coups épouvantables 
Résisté sans courber le dos ; 
Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots, 
Du bout de l'horizon accourt avec furie 
Le plus terrible des enfants 
Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs. 
L'arbre tient bon ; le roseau plie. 
Le vent redouble ses efforts, 
Et fait si bien qu'il déracine 
Celui de qui la tête au ciel était voisine, 
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.