patrick@0: =========== patrick@0: Victor HUGO patrick@0: =========== patrick@0: patrick@0: Ce siècle avait deux ans patrick@0: ------------------------ patrick@0: patrick@0: Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, patrick@0: Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, patrick@0: Et du premier consul, déjà, par maint endroit, patrick@0: Le front de l'empereur brisait le masque étroit. patrick@0: Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, patrick@0: Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole, patrick@0: Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois patrick@0: Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; patrick@0: Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère, patrick@0: Abandonné de tous, excepté de sa mère, patrick@0: Et que son cou ployé comme un frêle roseau patrick@0: Fit faire en même temps sa bière et son berceau. patrick@0: Cet enfant que la vie effaçait de son livre, patrick@0: Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre, patrick@0: C'est moi. - patrick@0: patrick@0: Je vous dirai peut-être quelque jour patrick@0: Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d'amour, patrick@0: Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, patrick@0: M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée, patrick@0: Ange qui sur trois fils attachés à ses pas patrick@0: Épandait son amour et ne mesurait pas ! patrick@0: Ô l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie ! patrick@0: Pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie ! patrick@0: Table toujours servie au paternel foyer ! patrick@0: Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier ! patrick@0: patrick@0: Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse patrick@0: Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, patrick@0: Comment ce haut destin de gloire et de terreur patrick@0: Qui remuait le monde aux pas de l'empereur, patrick@0: Dans son souffle orageux m'emportant sans défense, patrick@0: A tous les vents de l'air fit flotter mon enfance. patrick@0: Car, lorsque l'aquilon bat ses flots palpitants, patrick@0: L'océan convulsif tourmente en même temps patrick@0: Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage, patrick@0: Et la feuille échappée aux arbres du rivage ! patrick@0: patrick@0: Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé, patrick@0: J'ai plus d'un souvenir profondément gravé, patrick@0: Et l'on peut distinguer bien des choses passées patrick@0: Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. patrick@0: Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux, patrick@0: Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, patrick@0: Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde, patrick@0: Mon âme où ma pensée habite, comme un monde, patrick@0: Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté, patrick@0: Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté, patrick@0: Mon plus beau temps passé sans espoir qu'il renaisse, patrick@0: Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, patrick@0: Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit, patrick@0: Le livre de mon cœur à toute page écrit ! patrick@0: patrick@0: Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées, patrick@0: Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ; patrick@0: S'il me plaît de cacher l'amour et la douleur patrick@0: Dans le coin d'un roman ironique et railleur ; patrick@0: Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie, patrick@0: Si j'entre-choque aux yeux d'une foule choisie patrick@0: D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois patrick@0: De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; patrick@0: Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume, patrick@0: Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume patrick@0: Dans le rythme profond, moule mystérieux patrick@0: D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; patrick@0: C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie, patrick@0: L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie, patrick@0: Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, patrick@0: Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, patrick@0: Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore patrick@0: Mit au centre de tout comme un écho sonore ! patrick@0: patrick@0: D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais, patrick@0: Et je sais d'où je viens, si j'ignore où je vais. patrick@0: L'orage des partis avec son vent de flamme patrick@0: Sans en altérer l'onde a remué mon âme. patrick@0: Rien d'immonde en mon cœur, pas de limon impur patrick@0: Qui n'attendît qu'un vent pour en troubler l'azur ! patrick@0: patrick@0: Après avoir chanté, j'écoute et je contemple, patrick@0: A l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple, patrick@0: Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, patrick@0: Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; patrick@0: Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine patrick@0: Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne ! patrick@0: