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author Patrick PIERRE
jeu., 27 sept. 2012 18:13:48 +0200
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      <title>Les Misérables (extraits)</title>
      <contributors>
        <contributor>
          <firstname>Victor</firstname><lastname>HUGO</lastname>
          <role>author</role>
        </contributor>
      </contributors>
      <date value="1862"/>
      <subjectset>
        <subject>littérature</subject>
      </subjectset>
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        <title>Partie 1. Fantine</title>
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          <title>Livre 1. Un juste</title>
        </head>
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          <head>
            <title>1. M. Myriel</title>
          </head>
          <section>
            <p>En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque de
            Digne. C'était un vieillard d'environ soixante-quinze ans ; il
            occupait le siège de Digne depuis 1806.</p>
            <p>Quoique ce détail ne touche en aucune manière au fond même de ce
            que nous avons à raconter, il n'est peut-être pas inutile, ne
            fût-ce que pour être exact en tout, d'indiquer ici les bruits et
            les propos qui avaient couru sur son compte au moment où il était
            arrivé dans le diocèse. Vrai ou faux, ce qu'on dit des hommes tient
            souvent autant de place dans leur vie et surtout dans leur destinée
            que ce qu'ils font. M. Myriel était fils d'un conseiller au
            parlement d'Aix ; noblesse de robe. On contait de lui que son père,
            le réservant pour hériter de sa charge, l'avait marié de fort bonne
            heure, à dix-huit ou vingt ans, suivant un usage assez répandu dans
            les familles parlementaires. Charles Myriel, nonobstant ce mariage,
            avait, disait-on, beaucoup fait parler de lui. Il était bien fait
            de sa personne, quoique d'assez petite taille, élégant, gracieux,
            spirituel ; toute la première partie de sa vie avait été donnée au
            monde et aux galanteries. La révolution survint, les événements se
            précipitèrent, les familles parlementaires décimées, chassées,
            traquées, se dispersèrent. M. Charles Myriel, dès les premiers
            jours de la révolution, émigra en Italie. Sa femme y mourut d'une
            maladie de poitrine dont elle était atteinte depuis longtemps. Ils
            n'avaient point d'enfants. Que se passa-t-il ensuite dans la
            destinée de M. Myriel ? L'écroulement de l'ancienne société
            française, la chute de sa propre famille, les tragiques spectacles
            de 93, plus effrayants encore peut-être pour les émigrés qui les
            voyaient de loin avec le grossissement de l'épouvante, firent-ils
            germer en lui des idées de renoncement et de solitude ? Fut-il, au
            milieu d'une de ces distractions et de ces affections qui
            occupaient sa vie, subitement atteint d'un de ces coups mystérieux
            et terribles qui viennent quelquefois renverser, en le frappant au
            coeur, l'homme que les catastrophes publiques n'ébranleraient pas
            en le frappant dans son existence et dans sa fortune ? Nul n'aurait
            pu le dire ; tout ce qu'on savait, c'est que, lorsqu'il revint
            d'Italie, il était prêtre.</p>
            <p>En 1804, M. Myriel était curé de Brignolles. Il était déjà
            vieux, et vivait dans une retraite profonde.</p>
            <p>Vers l'époque du couronnement, une petite affaire de sa cure, on
            ne sait plus trop quoi, l'amena à Paris.  Entre autres personnes
            puissantes, il alla solliciter pour ses paroissiens M. le cardinal
            Fesch. Un jour que l'empereur était venu faire visite à son oncle,
            le digne curé, qui attendait dans l'antichambre, se trouva sur le
            passage de sa majesté. Napoléon, se voyant regardé avec une
            certaine curiosité par ce vieillard, se retourna, et dit
            brusquement :</p>
            <p>– Quel est ce bonhomme qui me regarde ?</p>
            <p>– Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme, et moi je
            regarde un grand homme. Chacun de nous peut profiter.</p>
            <p>L'empereur, le soir même, demanda au cardinal le nom de ce curé,
            et quelque temps après M. Myriel fut tout surpris d'apprendre qu'il
            était nommé évêque de Digne.</p>
            <p>Qu'y avait-il de vrai, du reste, dans les récits qu'on faisait
            sur la première partie de la vie de M.  Myriel ? Personne ne le
            savait. Peu de familles avaient connu la famille Myriel avant la
            révolution.</p>
            <p>M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une
            petite ville où il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu
            de têtes qui pensent. Il devait le subir, quoiqu'il fût évêque et
            parce qu'il était évêque. Mais, après tout, les propos auxquels on
            mêlait son nom n'étaient peut-être que des propos ; du bruit, des
            mots, des paroles ; moins que des paroles, des palabres, comme dit
            l'énergique langue du midi.</p>
            <p>Quoi qu'il en fût, après neuf ans d'épiscopat et de résidence à
            Digne, tous ces racontages, sujets de conversation qui occupent
            dans le premier moment les petites villes et les petites gens,
            étaient tombés dans un oubli profond. Personne n'eût osé en parler,
            personne n'eût même osé s'en souvenir.</p>
            <p>M. Myriel était arrivé à Digne accompagné d'une vieille fille,
            mademoiselle Baptistine, qui était sa soeur et qui avait dix ans de
            moins que lui.</p>
            <p>Ils avaient pour tout domestique une servante du même âge que
            mademoiselle Baptistine, et appelée madame Magloire, laquelle,
            après avoir été <mentioned>la servante de M. le Curé</mentioned>,
            prenait maintenant le double titre de femme de chambre de
            mademoiselle et femme de charge de monseigneur.</p>
            <p>Mademoiselle Baptistine était une personne longue, pâle, mince,
            douce ; elle réalisait l'idéal de ce qu'exprime le mot
            « respectable » ; car il semble qu'il soit nécessaire qu'une femme
            soit mère pour être vénérable.  Elle n'avait jamais été jolie ;
            toute sa vie, qui n'avait été qu'une suite de saintes oeuvres,
            avait fini par mettre sur elle une sorte de blancheur et de
            clarté ; et, en vieillissant, elle avait gagné ce qu'on pourrait
            appeler la beauté de la bonté. Ce qui avait été de la maigreur dans
            sa jeunesse était devenu, dans sa maturité, de la transparence ; et
            cette diaphanéité laissait voir l'ange. C'était une âme plus encore
            que ce n'était une vierge.  Sa personne semblait faite d'ombre ; à
            peine assez de corps pour qu'il y eût là un sexe ; un peu de
            matière contenant une lueur ; de grands yeux toujours baissés ; un
            prétexte pour qu'une âme reste sur la terre.</p>
            <p>Madame Magloire était une petite vieille, blanche, grasse,
            replète, affairée, toujours haletante, à cause de son activité
            d'abord, ensuite à cause d'un asthme.</p>
            <p>A son arrivée, on installa M. Myriel en son palais épiscopal
            avec les honneurs voulus par les décrets impériaux qui classent
            l'évêque immédiatement après le maréchal de camp. Le maire et le
            président lui firent la première visite, et lui de son côté fit la
            première visite au général et au préfet.</p>
            <p>L'installation terminée, la ville attendit son évêque à
            l'oeuvre.</p>
          </section>
        </topic>
        <!-- ============================================================== -->
        <topic>
          <head>
            <title>2. M. Myriel devient monseigneur Bienvenu</title>
          </head>
          <section>
            <p>Le palais épiscopal de Digne était attenant à l'hôpital.</p>
            <p>Le palais épiscopal était un vaste et bel hôtel bâti en pierre
            au commencement du siècle dernier par monseigneur Henri Puget,
            docteur en théologie de la faculté de Paris, abbé de Simore, lequel
            était évêque de Digne en 1712. Ce palais était un vrai logis
            seigneurial. Tout y avait grand air, les appartements de l'évêque,
            les salons, les chambres, la cour d'honneur, fort large, avec
            promenoirs à arcades, selon l'ancienne mode florentine, les jardins
            plantés de magnifiques arbres. Dans la salle à manger, longue et
            superbe galerie qui était au rez-de-chaussée et s'ouvrait sur les
            jardins, monseigneur Henri Puget avait donné à manger en cérémonie
            le 29 juillet 1714 à messeigneurs Charles Brûlart de Genlis,
            archevêque-prince d'Embrun, Antoine de Mesgrigny, capucin, évêque
            de Grasse, Philippe de Vendôme, grand prieur de France, abbé de
            Saint-Honoré de Lérins, François de Berton de Grillon, évêque-baron
            de Vence, César de Sabran de Forcalquier, évêque-seigneur de
            Glandève, et Jean Soanen, prêtre de l'oratoire, prédicateur
            ordinaire du roi, évêque-seigneur de Senez. Les portraits de ces
            sept révérends personnages décoraient cette salle, et cette date
            mémorable, 29 juillet 1714, y était gravée en lettres d'or sur une
            table de marbre blanc.</p>
            <p>L'hôpital était une maison étroite et basse à un seul étage avec
            un petit jardin.</p>
            <p>Trois jours après son arrivée, l'évêque visita l'hôpital. La
            visite terminée, il fit prier le directeur de vouloir bien venir
            jusque chez lui.</p>
            <p>– Monsieur le directeur de l'hôpital, lui dit-il, combien en ce
            moment avez-vous de malades ?</p>
            <p>– Vingt-six, monseigneur.</p>
            <p>– C'est ce que j'avais compté, dit l'évêque.</p>
            <p>– Les lits, reprit le directeur, sont bien serrés les uns contre
            les autres.</p>
            <p>– C'est ce que j'avais remarqué.</p>
            <p>– Les salles ne sont que des chambres, et l'air s'y renouvelle
            difficilement.</p>
            <p>– C'est ce qui me semble.</p>
            <p>– Et puis, quand il y a un rayon de soleil, le jardin est bien
            petit pour les convalescents.</p>
            <p>– C'est ce que je me disais.</p>
            <p>– Dans les épidémies, nous avons eu cette année le typhus, nous
            avons eu une suette militaire il y a deux ans, cent malades
            quelquefois ; nous ne savons que faire.</p>
            <p>– C'est la pensée qui m'était venue.</p>
            <p>– Que voulez-vous, monseigneur ? dit le directeur, il faut se
            résigner.</p>
            <p>Cette conversation avait lieu dans la salle à manger-galerie du
            rez-de-chaussée.</p>
            <p>L'évêque garda un moment le silence, puis il se tourna
            brusquement vers le directeur de l'hôpital :</p>
            <p>– Monsieur, dit-il, combien pensez-vous qu'il tiendrait de lits
            rien que dans cette salle ?</p>
            <p>– La salle à manger de monseigneur ! s'écria le directeur
            stupéfait.</p>
            <p>L'évêque parcourait la salle du regard et semblait y faire avec
            les yeux des mesures et des calculs.</p>
            <p>– Il y tiendrait bien vingt lits ! dit-il, comme se parlant à
            lui-même.</p>
            <p>Puis élevant la voix : – Tenez, monsieur le directeur de
            l'hôpital, je vais vous dire. Il y a évidemment une erreur. Vous
            êtes vingt-six personnes dans cinq ou six petites chambres. Nous
            sommes trois ici, et nous avons place pour soixante. Il y a erreur,
            je vous dis. Vous avez mon logis, et j'ai le vôtre. Rendez-moi ma
            maison. C'est ici chez vous.</p>
            <p>Le lendemain, les vingt-six pauvres étaient installés dans le
            palais de l'évêque et l'évêque était à l'hôpital.</p>
            <p>M. Myriel n'avait point de bien, sa famille ayant été ruinée par
            la révolution. Sa soeur touchait une rente viagère de cinq cents
            francs qui, au presbytère, suffisait à sa dépense
            personnelle. M. Myriel recevait de l'état comme évêque un
            traitement de quinze mille francs. Le jour même où il vint se loger
            dans la maison de l'hôpital, M.  Myriel détermina l'emploi de cette
            somme une fois pour toutes de la manière suivante. Nous
            transcrivons ici une note écrite de sa main.</p>
            <p>Note pour régler les dépenses de ma maison.</p>
            <p>Pour le petit séminaire : quinze cents livres.</p>
            <p>Congrégation de la mission : cent livres.</p>
            <p>Pour les lazaristes de Montdidier : cent livres.</p>
            <p>Séminaire des missions étrangères à Paris : deux cents livres.</p>
            <p>Congrégation du Saint-Esprit : cent cinquante livres.</p>
            <p>Etablissements religieux de la Terre-Sainte : cent livres.</p>
            <p>Sociétés de charité maternelle : trois cents livres.</p>
            <p>En sus, pour celle d'Arles : cinquante livres.</p>
            <p>Oeuvre pour l'amélioration des prisons : quatre cents livres.</p>
            <p>Oeuvre pour le soulagement et la délivrance des prisonniers : cinq
            cents livres.</p>
            <p>Pour libérer des pères de famille prisonniers pour dettes : mille
            livres.</p>
            <p>Supplément au traitement des pauvres maîtres d'école du diocèse :
            deux mille livres.</p>
            <p>Grenier d'abondance des Hautes-Alpes : cent livres.</p>
            <p>Congrégation des dames de Digne, de Manosque et de Sisteron, pour
            l'enseignement gratuit des filles indigentes : quinze mille
            livres.</p>
            <p>Pour les pauvres : six mille livres.</p>
            <p>Ma dépense personnelle : mille livres.</p>
            <p>Total : quinze mille livres.</p>
            <p>Pendant tout le temps qu'il occupa le siège de Digne, M. Myriel
            ne changea presque rien à cet arrangement. Il appelait cela, comme
            on voit, <mentioned>avoir réglé les dépenses de sa
            maison</mentioned>.</p>
            <p>Cet arrangement fut accepté avec une soumission absolue par
            mademoiselle Baptistine. Pour cette sainte fille, M. de Digne était
            tout à la fois son frère et son évêque, son ami selon la nature et
            son supérieur selon l'église.  Elle l'aimait et elle le vénérait
            tout simplement. Quand il parlait, elle s'inclinait ; quand il
            agissait, elle adhérait. La servante seule, madame Magloire,
            murmura un peu. M. l'évêque, on l'a pu remarquer, ne s'était
            réservé que mille livres, ce qui, joint à la pension de
            mademoiselle Baptistine, faisait quinze cents francs par an. Avec
            ces quinze cents francs, ces deux vieilles femmes et ce vieillard
            vivaient.</p>
            <p>Et quand un curé de village venait à Digne, M. l'évêque trouvait
            encore moyen de le traiter, grâce à la sévère économie de madame
            Magloire et à l'intelligente administration de mademoiselle
            Baptistine.</p>
            <p>Un jour, – il était à Digne depuis environ trois mois, – l'évêque
            dit :</p>
            <p>– Avec tout cela je suis bien gêné !</p>
            <p>– Je le crois bien ! s'écria madame Magloire, Monseigneur n'a
            seulement pas réclamé la rente que le département lui doit pour ses
            frais de carrosse en ville et de tournées dans le diocèse. Pour les
            évêques d'autrefois c'était l'usage.</p>
            <p>– Tiens ! dit l'évêque, vous avez raison, madame Magloire.</p>
            <p>Il fit sa réclamation.</p>
            <p>Quelque temps après, le conseil général, prenant cette demande en
            considération, lui vota une somme annuelle de trois mille francs,
            sous cette rubrique : <mentioned>Allocation à M. l'évêque pour frais
            de carrosse, frais de poste et frais de tournées
            pastorales</mentioned>.</p>
            <p>Cela fit beaucoup crier la bourgeoisie locale, et, à cette
            occasion, un sénateur de l'empire, ancien membre du conseil des
            cinq-cents favorable au dix-huit brumaire et pourvu près de la
            ville de Digne d'une sénatorerie magnifique, écrivit au ministre
            des cultes, M. Bigot de Préameneu, un petit billet irrité et
            confidentiel dont nous extrayons ces lignes authentiques :</p>
            <p>"– Des frais de carrosse ? pourquoi faire dans une ville de moins
            de quatre mille habitants ? Des frais de poste et de tournées ? à
            quoi bon ces tournées d'abord ? ensuite comment courir la poste dans
            un pays de montagnes ? Il n'y a pas de routes. On ne va qu'à
            cheval. Le pont même de la Durance à Château-Arnoux peut à peine
            porter des charrettes à boeufs. Ces prêtres sont tous ainsi. Avides
            et avares. Celui-ci a fait le bon apôtre en arrivant. Maintenant il
            fait comme les autres. Il lui faut carrosse et chaise de poste. Il
            lui faut du luxe comme aux anciens évêques. Oh ! toute cette
            prêtraille ! Monsieur le comte, les choses n'iront bien que lorsque
            l'empereur nous aura délivrés des calotins. A bas le pape ! (les
            affaires se brouillaient avec Rome). Quant à moi, je suis pour César
            tout seul. Etc., etc."</p>
            <p>La chose, en revanche, réjouit fort madame Magloire. – Bon,
            dit-elle à mademoiselle Baptistine, Monseigneur a commencé par les
            autres, mais il a bien fallu qu'il finit par lui-même. Il a réglé
            toutes ses charités.</p>
            <p>Voilà trois mille livres pour nous. Enfin !</p>
            <p>Le soir même, l'évêque écrivit et remit à sa soeur une note ainsi
            conçue :</p>
            <p>Frais de carrosse et de tournées.</p>
            <p>Pour donner du bouillon de viande aux malades de l'hôpital :
            quinze cents livres.</p>
            <p>Pour la société de charité maternelle d'Aix : deux cent cinquante
            livres.</p>
            <p>Pour la société de charité maternelle de Draguignan : deux cent
            cinquante livres.</p>
            <p>Pour les enfants trouvés : cinq cent livres.</p>
            <p>Pour les orphelins : cinq cent livres.</p>
            <p>Total : trois mille livres.</p>
            <p>Tel était le budget de M. Myriel.</p>
            <p>Quant au casuel épiscopal, rachats de bans, dispenses,
            ondoiements, prédications, bénédictions d'églises ou de chapelles,
            mariages, etc., l'évêque le percevait sur les riches avec d'autant
            plus d'âpreté qu'il le donnait aux pauvres.</p>
            <p>Au bout de peu de temps, les offrandes d'argent affluèrent. Ceux
            qui ont et ceux qui manquent frappaient à la porte de M. Myriel,
            les uns venant chercher l'aumône que les autres venaient y
            déposer. L'évêque, en moins d'un an, devint le trésorier de tous
            les bienfaits et le caissier de toutes les détresses. Des sommes
            considérables passaient par ses mains ; mais rien ne put faire
            qu'il changeât quelque chose à son genre de vie et qu'il ajoutât le
            moindre superflu à son nécessaire.</p>
            <p>Loin de là. Comme il y a toujours encore plus de misère en bas
            que de fraternité en haut, tout était donné, pour ainsi dire, avant
            d'être reçu ; c'était comme de l'eau sur une terre sèche ; il avait
            beau recevoir de l'argent, il n'en avait jamais. Alors il se
            dépouillait.</p>
            <p>L'usage étant que les évêques énoncent leurs noms de baptême en
            tête de leurs mandements et de leurs lettres pastorales, les pauvres
            gens du pays avaient choisi, avec une sorte d'instinct affectueux,
            dans les noms et prénoms de l'évêque, celui qui leur présentait un
            sens, et ils ne l'appelaient que monseigneur Bienvenu. Nous ferons
            comme eux, et nous le nommerons ainsi dans l'occasion. Du reste,
            cette appellation lui plaisait. – J'aime ce nom-là,
            disait-il. Bienvenu corrige monseigneur.</p>
            <p>Nous ne prétendons pas que le portrait que nous faisons ici soit
            vraisemblable ; nous nous bornons à dire qu'il est ressemblant.</p>
          </section>
        </topic>
        <!-- ============================================================== -->
        <topic>
          <head>
            <title>3. A bon évêque dur évêché</title>
          </head>
          <section>
            <p>…</p>
          </section>
        </topic>
      </division>

      <!-- ================================================================ -->
      <!-- =                              Livre 2                         = -->
      <!-- ================================================================ -->
      <division>
        <head>
          <title>Livre 2. La chute</title>
        </head>
        <!-- ============================================================== -->
        <topic>
          <head>
            <title>1. Le soir d'un jour de marche</title>
          </head>
          <section>
            <p>…</p>
          </section>
        </topic>
      </division>
    </division>

    <!-- ================================================================== -->
    <!-- =                                                                = -->
    <!-- =                              Partie 2                          = -->
    <!-- =                                                                = -->
    <!-- ================================================================== -->
    <division>
      <head>
        <title>Partie 2. Cosette</title>
      </head>
      <!-- ================================================================ -->
      <!-- =                             Livre 1                          = -->
      <!-- ================================================================ -->
      <division>
        <head>
          <title>Livre 1. Waterloo</title>
        </head>
        <!-- ============================================================== -->
        <topic>
          <head>
            <title>1. Ce qu'on rencontre en venant de Nivelles</title>
          </head>
          <section>
            <p>L'an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant,
            celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se
            dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux
            rangées d'arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des
            collines qui viennent l'une après l'autre, soulèvent la route et la
            laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait
            dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l'ouest,
            le clocher d'ardoise de Braine-l'Alleud qui a la forme d'un vase
            renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une
            hauteur, et, à l'angle d'un chemin de traverse, à côté d'une espèce
            de potence vermoulue portant l'inscription : <mentioned>Ancienne
            barrière no 4</mentioned>, un cabaret ayant sur sa façade cet
            écriteau : <mentioned>Au quatre vents. Echabeau, café de
            particulier</mentioned>.</p>
            <p>Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au
            fond d'un petit vallon où il y a de l'eau qui passe sous une arche
            pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d'arbres,
            clairsemé mais très vert, qui emplit le vallon d'un côté de la
            chaussée, s'éparpille de l'autre dans les prairies et s'en va avec
            grâce et comme en désordre vers Braine-l'Alleud.</p>
            <p>Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une
            charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de
            perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près
            d'une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une
            échelle le long d'un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune
            fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune,
            probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au
            vent. A l'angle de l'auberge, à côté d'une mare où naviguait une
            flottille de canards, un sentier mal pavé s'enfonçait dans les
            broussailles. Ce passant y entra.</p>
            <p>Au bout d'une centaine de pas, après avoir longé un mur du
            quinzième siècle surmonté d'un pignon aigu à briques contrariées,
            il se trouva en présence d'une grande porte de pierre cintrée, avec
            imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de
            deux médaillons planes. Une façade sévère dominait cette porte ; un
            mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et
            la flanquait d'un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte
            gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle
            toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour
            clôture deux battants décrépits ornés d'un vieux marteau
            rouillé.</p>
            <p>Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux
            frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du
            vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait
            éperdument dans un grand arbre.</p>
            <p>Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au
            bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation
            circulaire ressemblant à l'alvéole d'une sphère. En ce moment les
            battants s'écartèrent et une paysanne sortit.</p>
            <p>Elle vit le passant et aperçut ce qu'il regardait.</p>
            <p>– C'est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle
            ajouta :</p>
            <p>– Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d'un clou,
            c'est le trou d'un gros biscayen. Le biscayen n'a pas traversé le
            bois.</p>
            <p>– Comment s'appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.</p>
            <p>– Hougomont, dit la paysanne.</p>
            <p>Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s'en alla regarder
            au-dessus des haies. Il aperçut à l'horizon à travers les arbres une
            espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin,
            ressemblait à un lion.</p>
            <p>Il était dans le champ de bataille de Waterloo.</p>
          </section>
        </topic>
      </division>
    </division>
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