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2 Victor HUGO |
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5 Ce siècle avait deux ans |
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8 Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, |
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9 Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, |
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10 Et du premier consul, déjà, par maint endroit, |
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11 Le front de l'empereur brisait le masque étroit. |
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12 Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, |
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13 Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole, |
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14 Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois |
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15 Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; |
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16 Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère, |
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17 Abandonné de tous, excepté de sa mère, |
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18 Et que son cou ployé comme un frêle roseau |
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19 Fit faire en même temps sa bière et son berceau. |
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20 Cet enfant que la vie effaçait de son livre, |
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21 Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre, |
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22 C'est moi. - |
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24 Je vous dirai peut-être quelque jour |
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25 Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d'amour, |
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26 Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, |
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27 M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée, |
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28 Ange qui sur trois fils attachés à ses pas |
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29 Épandait son amour et ne mesurait pas ! |
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30 Ô l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie ! |
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31 Pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie ! |
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32 Table toujours servie au paternel foyer ! |
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33 Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier ! |
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35 Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse |
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36 Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, |
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37 Comment ce haut destin de gloire et de terreur |
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38 Qui remuait le monde aux pas de l'empereur, |
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39 Dans son souffle orageux m'emportant sans défense, |
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40 A tous les vents de l'air fit flotter mon enfance. |
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41 Car, lorsque l'aquilon bat ses flots palpitants, |
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42 L'océan convulsif tourmente en même temps |
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43 Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage, |
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44 Et la feuille échappée aux arbres du rivage ! |
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46 Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé, |
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47 J'ai plus d'un souvenir profondément gravé, |
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48 Et l'on peut distinguer bien des choses passées |
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49 Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. |
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50 Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux, |
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51 Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, |
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52 Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde, |
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53 Mon âme où ma pensée habite, comme un monde, |
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54 Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté, |
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55 Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté, |
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56 Mon plus beau temps passé sans espoir qu'il renaisse, |
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57 Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, |
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58 Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit, |
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59 Le livre de mon cœur à toute page écrit ! |
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61 Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées, |
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62 Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ; |
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63 S'il me plaît de cacher l'amour et la douleur |
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64 Dans le coin d'un roman ironique et railleur ; |
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65 Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie, |
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66 Si j'entre-choque aux yeux d'une foule choisie |
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67 D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois |
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68 De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; |
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69 Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume, |
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70 Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume |
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71 Dans le rythme profond, moule mystérieux |
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72 D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; |
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73 C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie, |
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74 L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie, |
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75 Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, |
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76 Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, |
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77 Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore |
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78 Mit au centre de tout comme un écho sonore ! |
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80 D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais, |
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81 Et je sais d'où je viens, si j'ignore où je vais. |
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82 L'orage des partis avec son vent de flamme |
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83 Sans en altérer l'onde a remué mon âme. |
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84 Rien d'immonde en mon cœur, pas de limon impur |
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85 Qui n'attendît qu'un vent pour en troubler l'azur ! |
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87 Après avoir chanté, j'écoute et je contemple, |
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88 A l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple, |
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89 Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, |
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90 Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; |
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91 Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine |
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92 Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne ! |
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