Texts/Écrits/XIXe/hugo.txt
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+Victor HUGO
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+Ce siècle avait deux ans
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+Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, 
+Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, 
+Et du premier consul, déjà, par maint endroit, 
+Le front de l'empereur brisait le masque étroit. 
+Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, 
+Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole, 
+Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois 
+Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; 
+Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère, 
+Abandonné de tous, excepté de sa mère, 
+Et que son cou ployé comme un frêle roseau 
+Fit faire en même temps sa bière et son berceau. 
+Cet enfant que la vie effaçait de son livre, 
+Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre, 
+C'est moi. -
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+Je vous dirai peut-être quelque jour 
+Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d'amour, 
+Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, 
+M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée, 
+Ange qui sur trois fils attachés à ses pas 
+Épandait son amour et ne mesurait pas ! 
+Ô l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie ! 
+Pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie !
+Table toujours servie au paternel foyer ! 
+Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier !
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+Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse 
+Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, 
+Comment ce haut destin de gloire et de terreur 
+Qui remuait le monde aux pas de l'empereur, 
+Dans son souffle orageux m'emportant sans défense, 
+A tous les vents de l'air fit flotter mon enfance. 
+Car, lorsque l'aquilon bat ses flots palpitants, 
+L'océan convulsif tourmente en même temps 
+Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage, 
+Et la feuille échappée aux arbres du rivage !
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+Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé, 
+J'ai plus d'un souvenir profondément gravé, 
+Et l'on peut distinguer bien des choses passées 
+Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. 
+Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux, 
+Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, 
+Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde, 
+Mon âme où ma pensée habite, comme un monde, 
+Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté, 
+Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté, 
+Mon plus beau temps passé sans espoir qu'il renaisse, 
+Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, 
+Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit, 
+Le livre de mon cœur à toute page écrit !
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+Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées, 
+Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ;
+S'il me plaît de cacher l'amour et la douleur 
+Dans le coin d'un roman ironique et railleur ; 
+Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie, 
+Si j'entre-choque aux yeux d'une foule choisie 
+D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois 
+De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; 
+Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume, 
+Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume 
+Dans le rythme profond, moule mystérieux 
+D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; 
+C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie, 
+L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie, 
+Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, 
+Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, 
+Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore 
+Mit au centre de tout comme un écho sonore !
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+D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais, 
+Et je sais d'où je viens, si j'ignore où je vais. 
+L'orage des partis avec son vent de flamme 
+Sans en altérer l'onde a remué mon âme. 
+Rien d'immonde en mon cœur, pas de limon impur 
+Qui n'attendît qu'un vent pour en troubler l'azur !
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+Après avoir chanté, j'écoute et je contemple, 
+A l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple, 
+Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, 
+Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; 
+Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine 
+Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne !
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