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+ <title>Les Misérables (extraits)</title>
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+ <firstname>Victor</firstname><lastname>HUGO</lastname>
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+ <date value="1862"/>
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+ <title>Partie 1. Fantine</title>
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+ <title>Livre 1. Un juste</title>
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+ <title>1. M. Myriel</title>
+ </head>
+ <section>
+ <p>En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque de
+ Digne. C'était un vieillard d'environ soixante-quinze ans ; il
+ occupait le siège de Digne depuis 1806.</p>
+ <p>Quoique ce détail ne touche en aucune manière au fond même de ce
+ que nous avons à raconter, il n'est peut-être pas inutile, ne
+ fût-ce que pour être exact en tout, d'indiquer ici les bruits et
+ les propos qui avaient couru sur son compte au moment où il était
+ arrivé dans le diocèse. Vrai ou faux, ce qu'on dit des hommes tient
+ souvent autant de place dans leur vie et surtout dans leur destinée
+ que ce qu'ils font. M. Myriel était fils d'un conseiller au
+ parlement d'Aix ; noblesse de robe. On contait de lui que son père,
+ le réservant pour hériter de sa charge, l'avait marié de fort bonne
+ heure, à dix-huit ou vingt ans, suivant un usage assez répandu dans
+ les familles parlementaires. Charles Myriel, nonobstant ce mariage,
+ avait, disait-on, beaucoup fait parler de lui. Il était bien fait
+ de sa personne, quoique d'assez petite taille, élégant, gracieux,
+ spirituel ; toute la première partie de sa vie avait été donnée au
+ monde et aux galanteries. La révolution survint, les événements se
+ précipitèrent, les familles parlementaires décimées, chassées,
+ traquées, se dispersèrent. M. Charles Myriel, dès les premiers
+ jours de la révolution, émigra en Italie. Sa femme y mourut d'une
+ maladie de poitrine dont elle était atteinte depuis longtemps. Ils
+ n'avaient point d'enfants. Que se passa-t-il ensuite dans la
+ destinée de M. Myriel ? L'écroulement de l'ancienne société
+ française, la chute de sa propre famille, les tragiques spectacles
+ de 93, plus effrayants encore peut-être pour les émigrés qui les
+ voyaient de loin avec le grossissement de l'épouvante, firent-ils
+ germer en lui des idées de renoncement et de solitude ? Fut-il, au
+ milieu d'une de ces distractions et de ces affections qui
+ occupaient sa vie, subitement atteint d'un de ces coups mystérieux
+ et terribles qui viennent quelquefois renverser, en le frappant au
+ coeur, l'homme que les catastrophes publiques n'ébranleraient pas
+ en le frappant dans son existence et dans sa fortune ? Nul n'aurait
+ pu le dire ; tout ce qu'on savait, c'est que, lorsqu'il revint
+ d'Italie, il était prêtre.</p>
+ <p>En 1804, M. Myriel était curé de Brignolles. Il était déjà
+ vieux, et vivait dans une retraite profonde.</p>
+ <p>Vers l'époque du couronnement, une petite affaire de sa cure, on
+ ne sait plus trop quoi, l'amena à Paris. Entre autres personnes
+ puissantes, il alla solliciter pour ses paroissiens M. le cardinal
+ Fesch. Un jour que l'empereur était venu faire visite à son oncle,
+ le digne curé, qui attendait dans l'antichambre, se trouva sur le
+ passage de sa majesté. Napoléon, se voyant regardé avec une
+ certaine curiosité par ce vieillard, se retourna, et dit
+ brusquement :</p>
+ <p>– Quel est ce bonhomme qui me regarde ?</p>
+ <p>– Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme, et moi je
+ regarde un grand homme. Chacun de nous peut profiter.</p>
+ <p>L'empereur, le soir même, demanda au cardinal le nom de ce curé,
+ et quelque temps après M. Myriel fut tout surpris d'apprendre qu'il
+ était nommé évêque de Digne.</p>
+ <p>Qu'y avait-il de vrai, du reste, dans les récits qu'on faisait
+ sur la première partie de la vie de M. Myriel ? Personne ne le
+ savait. Peu de familles avaient connu la famille Myriel avant la
+ révolution.</p>
+ <p>M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une
+ petite ville où il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu
+ de têtes qui pensent. Il devait le subir, quoiqu'il fût évêque et
+ parce qu'il était évêque. Mais, après tout, les propos auxquels on
+ mêlait son nom n'étaient peut-être que des propos ; du bruit, des
+ mots, des paroles ; moins que des paroles, des palabres, comme dit
+ l'énergique langue du midi.</p>
+ <p>Quoi qu'il en fût, après neuf ans d'épiscopat et de résidence à
+ Digne, tous ces racontages, sujets de conversation qui occupent
+ dans le premier moment les petites villes et les petites gens,
+ étaient tombés dans un oubli profond. Personne n'eût osé en parler,
+ personne n'eût même osé s'en souvenir.</p>
+ <p>M. Myriel était arrivé à Digne accompagné d'une vieille fille,
+ mademoiselle Baptistine, qui était sa soeur et qui avait dix ans de
+ moins que lui.</p>
+ <p>Ils avaient pour tout domestique une servante du même âge que
+ mademoiselle Baptistine, et appelée madame Magloire, laquelle,
+ après avoir été <mentioned>la servante de M. le Curé</mentioned>,
+ prenait maintenant le double titre de femme de chambre de
+ mademoiselle et femme de charge de monseigneur.</p>
+ <p>Mademoiselle Baptistine était une personne longue, pâle, mince,
+ douce ; elle réalisait l'idéal de ce qu'exprime le mot
+ « respectable » ; car il semble qu'il soit nécessaire qu'une femme
+ soit mère pour être vénérable. Elle n'avait jamais été jolie ;
+ toute sa vie, qui n'avait été qu'une suite de saintes oeuvres,
+ avait fini par mettre sur elle une sorte de blancheur et de
+ clarté ; et, en vieillissant, elle avait gagné ce qu'on pourrait
+ appeler la beauté de la bonté. Ce qui avait été de la maigreur dans
+ sa jeunesse était devenu, dans sa maturité, de la transparence ; et
+ cette diaphanéité laissait voir l'ange. C'était une âme plus encore
+ que ce n'était une vierge. Sa personne semblait faite d'ombre ; à
+ peine assez de corps pour qu'il y eût là un sexe ; un peu de
+ matière contenant une lueur ; de grands yeux toujours baissés ; un
+ prétexte pour qu'une âme reste sur la terre.</p>
+ <p>Madame Magloire était une petite vieille, blanche, grasse,
+ replète, affairée, toujours haletante, à cause de son activité
+ d'abord, ensuite à cause d'un asthme.</p>
+ <p>A son arrivée, on installa M. Myriel en son palais épiscopal
+ avec les honneurs voulus par les décrets impériaux qui classent
+ l'évêque immédiatement après le maréchal de camp. Le maire et le
+ président lui firent la première visite, et lui de son côté fit la
+ première visite au général et au préfet.</p>
+ <p>L'installation terminée, la ville attendit son évêque à
+ l'oeuvre.</p>
+ </section>
+ </topic>
+ <!-- ============================================================== -->
+ <topic>
+ <head>
+ <title>2. M. Myriel devient monseigneur Bienvenu</title>
+ </head>
+ <section>
+ <p>Le palais épiscopal de Digne était attenant à l'hôpital.</p>
+ <p>Le palais épiscopal était un vaste et bel hôtel bâti en pierre
+ au commencement du siècle dernier par monseigneur Henri Puget,
+ docteur en théologie de la faculté de Paris, abbé de Simore, lequel
+ était évêque de Digne en 1712. Ce palais était un vrai logis
+ seigneurial. Tout y avait grand air, les appartements de l'évêque,
+ les salons, les chambres, la cour d'honneur, fort large, avec
+ promenoirs à arcades, selon l'ancienne mode florentine, les jardins
+ plantés de magnifiques arbres. Dans la salle à manger, longue et
+ superbe galerie qui était au rez-de-chaussée et s'ouvrait sur les
+ jardins, monseigneur Henri Puget avait donné à manger en cérémonie
+ le 29 juillet 1714 à messeigneurs Charles Brûlart de Genlis,
+ archevêque-prince d'Embrun, Antoine de Mesgrigny, capucin, évêque
+ de Grasse, Philippe de Vendôme, grand prieur de France, abbé de
+ Saint-Honoré de Lérins, François de Berton de Grillon, évêque-baron
+ de Vence, César de Sabran de Forcalquier, évêque-seigneur de
+ Glandève, et Jean Soanen, prêtre de l'oratoire, prédicateur
+ ordinaire du roi, évêque-seigneur de Senez. Les portraits de ces
+ sept révérends personnages décoraient cette salle, et cette date
+ mémorable, 29 juillet 1714, y était gravée en lettres d'or sur une
+ table de marbre blanc.</p>
+ <p>L'hôpital était une maison étroite et basse à un seul étage avec
+ un petit jardin.</p>
+ <p>Trois jours après son arrivée, l'évêque visita l'hôpital. La
+ visite terminée, il fit prier le directeur de vouloir bien venir
+ jusque chez lui.</p>
+ <p>– Monsieur le directeur de l'hôpital, lui dit-il, combien en ce
+ moment avez-vous de malades ?</p>
+ <p>– Vingt-six, monseigneur.</p>
+ <p>– C'est ce que j'avais compté, dit l'évêque.</p>
+ <p>– Les lits, reprit le directeur, sont bien serrés les uns contre
+ les autres.</p>
+ <p>– C'est ce que j'avais remarqué.</p>
+ <p>– Les salles ne sont que des chambres, et l'air s'y renouvelle
+ difficilement.</p>
+ <p>– C'est ce qui me semble.</p>
+ <p>– Et puis, quand il y a un rayon de soleil, le jardin est bien
+ petit pour les convalescents.</p>
+ <p>– C'est ce que je me disais.</p>
+ <p>– Dans les épidémies, nous avons eu cette année le typhus, nous
+ avons eu une suette militaire il y a deux ans, cent malades
+ quelquefois ; nous ne savons que faire.</p>
+ <p>– C'est la pensée qui m'était venue.</p>
+ <p>– Que voulez-vous, monseigneur ? dit le directeur, il faut se
+ résigner.</p>
+ <p>Cette conversation avait lieu dans la salle à manger-galerie du
+ rez-de-chaussée.</p>
+ <p>L'évêque garda un moment le silence, puis il se tourna
+ brusquement vers le directeur de l'hôpital :</p>
+ <p>– Monsieur, dit-il, combien pensez-vous qu'il tiendrait de lits
+ rien que dans cette salle ?</p>
+ <p>– La salle à manger de monseigneur ! s'écria le directeur
+ stupéfait.</p>
+ <p>L'évêque parcourait la salle du regard et semblait y faire avec
+ les yeux des mesures et des calculs.</p>
+ <p>– Il y tiendrait bien vingt lits ! dit-il, comme se parlant à
+ lui-même.</p>
+ <p>Puis élevant la voix : – Tenez, monsieur le directeur de
+ l'hôpital, je vais vous dire. Il y a évidemment une erreur. Vous
+ êtes vingt-six personnes dans cinq ou six petites chambres. Nous
+ sommes trois ici, et nous avons place pour soixante. Il y a erreur,
+ je vous dis. Vous avez mon logis, et j'ai le vôtre. Rendez-moi ma
+ maison. C'est ici chez vous.</p>
+ <p>Le lendemain, les vingt-six pauvres étaient installés dans le
+ palais de l'évêque et l'évêque était à l'hôpital.</p>
+ <p>M. Myriel n'avait point de bien, sa famille ayant été ruinée par
+ la révolution. Sa soeur touchait une rente viagère de cinq cents
+ francs qui, au presbytère, suffisait à sa dépense
+ personnelle. M. Myriel recevait de l'état comme évêque un
+ traitement de quinze mille francs. Le jour même où il vint se loger
+ dans la maison de l'hôpital, M. Myriel détermina l'emploi de cette
+ somme une fois pour toutes de la manière suivante. Nous
+ transcrivons ici une note écrite de sa main.</p>
+ <p>Note pour régler les dépenses de ma maison.</p>
+ <p>Pour le petit séminaire : quinze cents livres.</p>
+ <p>Congrégation de la mission : cent livres.</p>
+ <p>Pour les lazaristes de Montdidier : cent livres.</p>
+ <p>Séminaire des missions étrangères à Paris : deux cents livres.</p>
+ <p>Congrégation du Saint-Esprit : cent cinquante livres.</p>
+ <p>Etablissements religieux de la Terre-Sainte : cent livres.</p>
+ <p>Sociétés de charité maternelle : trois cents livres.</p>
+ <p>En sus, pour celle d'Arles : cinquante livres.</p>
+ <p>Oeuvre pour l'amélioration des prisons : quatre cents livres.</p>
+ <p>Oeuvre pour le soulagement et la délivrance des prisonniers : cinq
+ cents livres.</p>
+ <p>Pour libérer des pères de famille prisonniers pour dettes : mille
+ livres.</p>
+ <p>Supplément au traitement des pauvres maîtres d'école du diocèse :
+ deux mille livres.</p>
+ <p>Grenier d'abondance des Hautes-Alpes : cent livres.</p>
+ <p>Congrégation des dames de Digne, de Manosque et de Sisteron, pour
+ l'enseignement gratuit des filles indigentes : quinze mille
+ livres.</p>
+ <p>Pour les pauvres : six mille livres.</p>
+ <p>Ma dépense personnelle : mille livres.</p>
+ <p>Total : quinze mille livres.</p>
+ <p>Pendant tout le temps qu'il occupa le siège de Digne, M. Myriel
+ ne changea presque rien à cet arrangement. Il appelait cela, comme
+ on voit, <mentioned>avoir réglé les dépenses de sa
+ maison</mentioned>.</p>
+ <p>Cet arrangement fut accepté avec une soumission absolue par
+ mademoiselle Baptistine. Pour cette sainte fille, M. de Digne était
+ tout à la fois son frère et son évêque, son ami selon la nature et
+ son supérieur selon l'église. Elle l'aimait et elle le vénérait
+ tout simplement. Quand il parlait, elle s'inclinait ; quand il
+ agissait, elle adhérait. La servante seule, madame Magloire,
+ murmura un peu. M. l'évêque, on l'a pu remarquer, ne s'était
+ réservé que mille livres, ce qui, joint à la pension de
+ mademoiselle Baptistine, faisait quinze cents francs par an. Avec
+ ces quinze cents francs, ces deux vieilles femmes et ce vieillard
+ vivaient.</p>
+ <p>Et quand un curé de village venait à Digne, M. l'évêque trouvait
+ encore moyen de le traiter, grâce à la sévère économie de madame
+ Magloire et à l'intelligente administration de mademoiselle
+ Baptistine.</p>
+ <p>Un jour, – il était à Digne depuis environ trois mois, – l'évêque
+ dit :</p>
+ <p>– Avec tout cela je suis bien gêné !</p>
+ <p>– Je le crois bien ! s'écria madame Magloire, Monseigneur n'a
+ seulement pas réclamé la rente que le département lui doit pour ses
+ frais de carrosse en ville et de tournées dans le diocèse. Pour les
+ évêques d'autrefois c'était l'usage.</p>
+ <p>– Tiens ! dit l'évêque, vous avez raison, madame Magloire.</p>
+ <p>Il fit sa réclamation.</p>
+ <p>Quelque temps après, le conseil général, prenant cette demande en
+ considération, lui vota une somme annuelle de trois mille francs,
+ sous cette rubrique : <mentioned>Allocation à M. l'évêque pour frais
+ de carrosse, frais de poste et frais de tournées
+ pastorales</mentioned>.</p>
+ <p>Cela fit beaucoup crier la bourgeoisie locale, et, à cette
+ occasion, un sénateur de l'empire, ancien membre du conseil des
+ cinq-cents favorable au dix-huit brumaire et pourvu près de la
+ ville de Digne d'une sénatorerie magnifique, écrivit au ministre
+ des cultes, M. Bigot de Préameneu, un petit billet irrité et
+ confidentiel dont nous extrayons ces lignes authentiques :</p>
+ <p>"– Des frais de carrosse ? pourquoi faire dans une ville de moins
+ de quatre mille habitants ? Des frais de poste et de tournées ? à
+ quoi bon ces tournées d'abord ? ensuite comment courir la poste dans
+ un pays de montagnes ? Il n'y a pas de routes. On ne va qu'à
+ cheval. Le pont même de la Durance à Château-Arnoux peut à peine
+ porter des charrettes à boeufs. Ces prêtres sont tous ainsi. Avides
+ et avares. Celui-ci a fait le bon apôtre en arrivant. Maintenant il
+ fait comme les autres. Il lui faut carrosse et chaise de poste. Il
+ lui faut du luxe comme aux anciens évêques. Oh ! toute cette
+ prêtraille ! Monsieur le comte, les choses n'iront bien que lorsque
+ l'empereur nous aura délivrés des calotins. A bas le pape ! (les
+ affaires se brouillaient avec Rome). Quant à moi, je suis pour César
+ tout seul. Etc., etc."</p>
+ <p>La chose, en revanche, réjouit fort madame Magloire. – Bon,
+ dit-elle à mademoiselle Baptistine, Monseigneur a commencé par les
+ autres, mais il a bien fallu qu'il finit par lui-même. Il a réglé
+ toutes ses charités.</p>
+ <p>Voilà trois mille livres pour nous. Enfin !</p>
+ <p>Le soir même, l'évêque écrivit et remit à sa soeur une note ainsi
+ conçue :</p>
+ <p>Frais de carrosse et de tournées.</p>
+ <p>Pour donner du bouillon de viande aux malades de l'hôpital :
+ quinze cents livres.</p>
+ <p>Pour la société de charité maternelle d'Aix : deux cent cinquante
+ livres.</p>
+ <p>Pour la société de charité maternelle de Draguignan : deux cent
+ cinquante livres.</p>
+ <p>Pour les enfants trouvés : cinq cent livres.</p>
+ <p>Pour les orphelins : cinq cent livres.</p>
+ <p>Total : trois mille livres.</p>
+ <p>Tel était le budget de M. Myriel.</p>
+ <p>Quant au casuel épiscopal, rachats de bans, dispenses,
+ ondoiements, prédications, bénédictions d'églises ou de chapelles,
+ mariages, etc., l'évêque le percevait sur les riches avec d'autant
+ plus d'âpreté qu'il le donnait aux pauvres.</p>
+ <p>Au bout de peu de temps, les offrandes d'argent affluèrent. Ceux
+ qui ont et ceux qui manquent frappaient à la porte de M. Myriel,
+ les uns venant chercher l'aumône que les autres venaient y
+ déposer. L'évêque, en moins d'un an, devint le trésorier de tous
+ les bienfaits et le caissier de toutes les détresses. Des sommes
+ considérables passaient par ses mains ; mais rien ne put faire
+ qu'il changeât quelque chose à son genre de vie et qu'il ajoutât le
+ moindre superflu à son nécessaire.</p>
+ <p>Loin de là. Comme il y a toujours encore plus de misère en bas
+ que de fraternité en haut, tout était donné, pour ainsi dire, avant
+ d'être reçu ; c'était comme de l'eau sur une terre sèche ; il avait
+ beau recevoir de l'argent, il n'en avait jamais. Alors il se
+ dépouillait.</p>
+ <p>L'usage étant que les évêques énoncent leurs noms de baptême en
+ tête de leurs mandements et de leurs lettres pastorales, les pauvres
+ gens du pays avaient choisi, avec une sorte d'instinct affectueux,
+ dans les noms et prénoms de l'évêque, celui qui leur présentait un
+ sens, et ils ne l'appelaient que monseigneur Bienvenu. Nous ferons
+ comme eux, et nous le nommerons ainsi dans l'occasion. Du reste,
+ cette appellation lui plaisait. – J'aime ce nom-là,
+ disait-il. Bienvenu corrige monseigneur.</p>
+ <p>Nous ne prétendons pas que le portrait que nous faisons ici soit
+ vraisemblable ; nous nous bornons à dire qu'il est ressemblant.</p>
+ </section>
+ </topic>
+ <!-- ============================================================== -->
+ <topic>
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+ <title>3. A bon évêque dur évêché</title>
+ </head>
+ <section>
+ <p>…</p>
+ </section>
+ </topic>
+ </division>
+
+ <!-- ================================================================ -->
+ <!-- = Livre 2 = -->
+ <!-- ================================================================ -->
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+ <head>
+ <title>Livre 2. La chute</title>
+ </head>
+ <!-- ============================================================== -->
+ <topic>
+ <head>
+ <title>1. Le soir d'un jour de marche</title>
+ </head>
+ <section>
+ <p>…</p>
+ </section>
+ </topic>
+ </division>
+ </division>
+
+ <!-- ================================================================== -->
+ <!-- = = -->
+ <!-- = Partie 2 = -->
+ <!-- = = -->
+ <!-- ================================================================== -->
+ <division>
+ <head>
+ <title>Partie 2. Cosette</title>
+ </head>
+ <!-- ================================================================ -->
+ <!-- = Livre 1 = -->
+ <!-- ================================================================ -->
+ <division>
+ <head>
+ <title>Livre 1. Waterloo</title>
+ </head>
+ <!-- ============================================================== -->
+ <topic>
+ <head>
+ <title>1. Ce qu'on rencontre en venant de Nivelles</title>
+ </head>
+ <section>
+ <p>L'an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant,
+ celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se
+ dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux
+ rangées d'arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des
+ collines qui viennent l'une après l'autre, soulèvent la route et la
+ laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait
+ dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l'ouest,
+ le clocher d'ardoise de Braine-l'Alleud qui a la forme d'un vase
+ renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une
+ hauteur, et, à l'angle d'un chemin de traverse, à côté d'une espèce
+ de potence vermoulue portant l'inscription : <mentioned>Ancienne
+ barrière no 4</mentioned>, un cabaret ayant sur sa façade cet
+ écriteau : <mentioned>Au quatre vents. Echabeau, café de
+ particulier</mentioned>.</p>
+ <p>Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au
+ fond d'un petit vallon où il y a de l'eau qui passe sous une arche
+ pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d'arbres,
+ clairsemé mais très vert, qui emplit le vallon d'un côté de la
+ chaussée, s'éparpille de l'autre dans les prairies et s'en va avec
+ grâce et comme en désordre vers Braine-l'Alleud.</p>
+ <p>Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une
+ charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de
+ perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près
+ d'une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une
+ échelle le long d'un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune
+ fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune,
+ probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au
+ vent. A l'angle de l'auberge, à côté d'une mare où naviguait une
+ flottille de canards, un sentier mal pavé s'enfonçait dans les
+ broussailles. Ce passant y entra.</p>
+ <p>Au bout d'une centaine de pas, après avoir longé un mur du
+ quinzième siècle surmonté d'un pignon aigu à briques contrariées,
+ il se trouva en présence d'une grande porte de pierre cintrée, avec
+ imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de
+ deux médaillons planes. Une façade sévère dominait cette porte ; un
+ mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et
+ la flanquait d'un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte
+ gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle
+ toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour
+ clôture deux battants décrépits ornés d'un vieux marteau
+ rouillé.</p>
+ <p>Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux
+ frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du
+ vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait
+ éperdument dans un grand arbre.</p>
+ <p>Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au
+ bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation
+ circulaire ressemblant à l'alvéole d'une sphère. En ce moment les
+ battants s'écartèrent et une paysanne sortit.</p>
+ <p>Elle vit le passant et aperçut ce qu'il regardait.</p>
+ <p>– C'est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle
+ ajouta :</p>
+ <p>– Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d'un clou,
+ c'est le trou d'un gros biscayen. Le biscayen n'a pas traversé le
+ bois.</p>
+ <p>– Comment s'appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.</p>
+ <p>– Hougomont, dit la paysanne.</p>
+ <p>Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s'en alla regarder
+ au-dessus des haies. Il aperçut à l'horizon à travers les arbres une
+ espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin,
+ ressemblait à un lion.</p>
+ <p>Il était dans le champ de bataille de Waterloo.</p>
+ </section>
+ </topic>
+ </division>
+ </division>
+ </document>
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