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author Patrick PIERRE <patrick.pierre@prismallia.fr>
mar., 18 sept. 2012 12:34:20 +0200
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Ajout du thème « littérature »
patrick@0
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     6
      <title>Les Misérables (extraits)</title>
patrick@0
     7
      <contributors>
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        <contributor>
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          <firstname>Victor</firstname><lastname>HUGO</lastname>
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          <role>author</role>
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      <date value="1862"/>
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      <subjectset>
patrick@26
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        <subject>littérature</subject>
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        <title>Partie 1. Fantine</title>
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          <title>Livre 1. Un juste</title>
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          <head>
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            <title>1. M. Myriel</title>
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          </head>
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    40
          <section>
patrick@0
    41
            <p>En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel était évêque de
patrick@0
    42
            Digne. C'était un vieillard d'environ soixante-quinze ans ; il
patrick@0
    43
            occupait le siège de Digne depuis 1806.</p>
patrick@0
    44
            <p>Quoique ce détail ne touche en aucune manière au fond même de ce
patrick@0
    45
            que nous avons à raconter, il n'est peut-être pas inutile, ne
patrick@0
    46
            fût-ce que pour être exact en tout, d'indiquer ici les bruits et
patrick@0
    47
            les propos qui avaient couru sur son compte au moment où il était
patrick@0
    48
            arrivé dans le diocèse. Vrai ou faux, ce qu'on dit des hommes tient
patrick@0
    49
            souvent autant de place dans leur vie et surtout dans leur destinée
patrick@0
    50
            que ce qu'ils font. M. Myriel était fils d'un conseiller au
patrick@0
    51
            parlement d'Aix ; noblesse de robe. On contait de lui que son père,
patrick@0
    52
            le réservant pour hériter de sa charge, l'avait marié de fort bonne
patrick@0
    53
            heure, à dix-huit ou vingt ans, suivant un usage assez répandu dans
patrick@0
    54
            les familles parlementaires. Charles Myriel, nonobstant ce mariage,
patrick@0
    55
            avait, disait-on, beaucoup fait parler de lui. Il était bien fait
patrick@0
    56
            de sa personne, quoique d'assez petite taille, élégant, gracieux,
patrick@0
    57
            spirituel ; toute la première partie de sa vie avait été donnée au
patrick@0
    58
            monde et aux galanteries. La révolution survint, les événements se
patrick@0
    59
            précipitèrent, les familles parlementaires décimées, chassées,
patrick@0
    60
            traquées, se dispersèrent. M. Charles Myriel, dès les premiers
patrick@0
    61
            jours de la révolution, émigra en Italie. Sa femme y mourut d'une
patrick@0
    62
            maladie de poitrine dont elle était atteinte depuis longtemps. Ils
patrick@0
    63
            n'avaient point d'enfants. Que se passa-t-il ensuite dans la
patrick@0
    64
            destinée de M. Myriel ? L'écroulement de l'ancienne société
patrick@0
    65
            française, la chute de sa propre famille, les tragiques spectacles
patrick@0
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            de 93, plus effrayants encore peut-être pour les émigrés qui les
patrick@0
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            voyaient de loin avec le grossissement de l'épouvante, firent-ils
patrick@0
    68
            germer en lui des idées de renoncement et de solitude ? Fut-il, au
patrick@0
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            milieu d'une de ces distractions et de ces affections qui
patrick@0
    70
            occupaient sa vie, subitement atteint d'un de ces coups mystérieux
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            et terribles qui viennent quelquefois renverser, en le frappant au
patrick@0
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            coeur, l'homme que les catastrophes publiques n'ébranleraient pas
patrick@0
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            en le frappant dans son existence et dans sa fortune ? Nul n'aurait
patrick@0
    74
            pu le dire ; tout ce qu'on savait, c'est que, lorsqu'il revint
patrick@0
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            d'Italie, il était prêtre.</p>
patrick@0
    76
            <p>En 1804, M. Myriel était curé de Brignolles. Il était déjà
patrick@0
    77
            vieux, et vivait dans une retraite profonde.</p>
patrick@0
    78
            <p>Vers l'époque du couronnement, une petite affaire de sa cure, on
patrick@0
    79
            ne sait plus trop quoi, l'amena à Paris.  Entre autres personnes
patrick@0
    80
            puissantes, il alla solliciter pour ses paroissiens M. le cardinal
patrick@0
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            Fesch. Un jour que l'empereur était venu faire visite à son oncle,
patrick@0
    82
            le digne curé, qui attendait dans l'antichambre, se trouva sur le
patrick@0
    83
            passage de sa majesté. Napoléon, se voyant regardé avec une
patrick@0
    84
            certaine curiosité par ce vieillard, se retourna, et dit
patrick@0
    85
            brusquement :</p>
patrick@0
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            <p>– Quel est ce bonhomme qui me regarde ?</p>
patrick@0
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            <p>– Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme, et moi je
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            regarde un grand homme. Chacun de nous peut profiter.</p>
patrick@0
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            <p>L'empereur, le soir même, demanda au cardinal le nom de ce curé,
patrick@0
    90
            et quelque temps après M. Myriel fut tout surpris d'apprendre qu'il
patrick@0
    91
            était nommé évêque de Digne.</p>
patrick@0
    92
            <p>Qu'y avait-il de vrai, du reste, dans les récits qu'on faisait
patrick@0
    93
            sur la première partie de la vie de M.  Myriel ? Personne ne le
patrick@0
    94
            savait. Peu de familles avaient connu la famille Myriel avant la
patrick@0
    95
            révolution.</p>
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            <p>M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une
patrick@0
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            petite ville où il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu
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            de têtes qui pensent. Il devait le subir, quoiqu'il fût évêque et
patrick@0
    99
            parce qu'il était évêque. Mais, après tout, les propos auxquels on
patrick@0
   100
            mêlait son nom n'étaient peut-être que des propos ; du bruit, des
patrick@0
   101
            mots, des paroles ; moins que des paroles, des palabres, comme dit
patrick@0
   102
            l'énergique langue du midi.</p>
patrick@0
   103
            <p>Quoi qu'il en fût, après neuf ans d'épiscopat et de résidence à
patrick@0
   104
            Digne, tous ces racontages, sujets de conversation qui occupent
patrick@0
   105
            dans le premier moment les petites villes et les petites gens,
patrick@0
   106
            étaient tombés dans un oubli profond. Personne n'eût osé en parler,
patrick@0
   107
            personne n'eût même osé s'en souvenir.</p>
patrick@0
   108
            <p>M. Myriel était arrivé à Digne accompagné d'une vieille fille,
patrick@0
   109
            mademoiselle Baptistine, qui était sa soeur et qui avait dix ans de
patrick@0
   110
            moins que lui.</p>
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   111
            <p>Ils avaient pour tout domestique une servante du même âge que
patrick@0
   112
            mademoiselle Baptistine, et appelée madame Magloire, laquelle,
patrick@0
   113
            après avoir été <mentioned>la servante de M. le Curé</mentioned>,
patrick@0
   114
            prenait maintenant le double titre de femme de chambre de
patrick@0
   115
            mademoiselle et femme de charge de monseigneur.</p>
patrick@0
   116
            <p>Mademoiselle Baptistine était une personne longue, pâle, mince,
patrick@0
   117
            douce ; elle réalisait l'idéal de ce qu'exprime le mot
patrick@0
   118
            « respectable » ; car il semble qu'il soit nécessaire qu'une femme
patrick@0
   119
            soit mère pour être vénérable.  Elle n'avait jamais été jolie ;
patrick@0
   120
            toute sa vie, qui n'avait été qu'une suite de saintes oeuvres,
patrick@0
   121
            avait fini par mettre sur elle une sorte de blancheur et de
patrick@0
   122
            clarté ; et, en vieillissant, elle avait gagné ce qu'on pourrait
patrick@0
   123
            appeler la beauté de la bonté. Ce qui avait été de la maigreur dans
patrick@0
   124
            sa jeunesse était devenu, dans sa maturité, de la transparence ; et
patrick@0
   125
            cette diaphanéité laissait voir l'ange. C'était une âme plus encore
patrick@0
   126
            que ce n'était une vierge.  Sa personne semblait faite d'ombre ; à
patrick@0
   127
            peine assez de corps pour qu'il y eût là un sexe ; un peu de
patrick@0
   128
            matière contenant une lueur ; de grands yeux toujours baissés ; un
patrick@0
   129
            prétexte pour qu'une âme reste sur la terre.</p>
patrick@0
   130
            <p>Madame Magloire était une petite vieille, blanche, grasse,
patrick@0
   131
            replète, affairée, toujours haletante, à cause de son activité
patrick@0
   132
            d'abord, ensuite à cause d'un asthme.</p>
patrick@0
   133
            <p>A son arrivée, on installa M. Myriel en son palais épiscopal
patrick@0
   134
            avec les honneurs voulus par les décrets impériaux qui classent
patrick@0
   135
            l'évêque immédiatement après le maréchal de camp. Le maire et le
patrick@0
   136
            président lui firent la première visite, et lui de son côté fit la
patrick@0
   137
            première visite au général et au préfet.</p>
patrick@0
   138
            <p>L'installation terminée, la ville attendit son évêque à
patrick@0
   139
            l'oeuvre.</p>
patrick@0
   140
          </section>
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   141
        </topic>
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   142
        <!-- ============================================================== -->
patrick@0
   143
        <topic>
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   144
          <head>
patrick@0
   145
            <title>2. M. Myriel devient monseigneur Bienvenu</title>
patrick@0
   146
          </head>
patrick@0
   147
          <section>
patrick@0
   148
            <p>Le palais épiscopal de Digne était attenant à l'hôpital.</p>
patrick@0
   149
            <p>Le palais épiscopal était un vaste et bel hôtel bâti en pierre
patrick@0
   150
            au commencement du siècle dernier par monseigneur Henri Puget,
patrick@0
   151
            docteur en théologie de la faculté de Paris, abbé de Simore, lequel
patrick@0
   152
            était évêque de Digne en 1712. Ce palais était un vrai logis
patrick@0
   153
            seigneurial. Tout y avait grand air, les appartements de l'évêque,
patrick@0
   154
            les salons, les chambres, la cour d'honneur, fort large, avec
patrick@0
   155
            promenoirs à arcades, selon l'ancienne mode florentine, les jardins
patrick@0
   156
            plantés de magnifiques arbres. Dans la salle à manger, longue et
patrick@0
   157
            superbe galerie qui était au rez-de-chaussée et s'ouvrait sur les
patrick@0
   158
            jardins, monseigneur Henri Puget avait donné à manger en cérémonie
patrick@0
   159
            le 29 juillet 1714 à messeigneurs Charles Brûlart de Genlis,
patrick@0
   160
            archevêque-prince d'Embrun, Antoine de Mesgrigny, capucin, évêque
patrick@0
   161
            de Grasse, Philippe de Vendôme, grand prieur de France, abbé de
patrick@0
   162
            Saint-Honoré de Lérins, François de Berton de Grillon, évêque-baron
patrick@0
   163
            de Vence, César de Sabran de Forcalquier, évêque-seigneur de
patrick@0
   164
            Glandève, et Jean Soanen, prêtre de l'oratoire, prédicateur
patrick@0
   165
            ordinaire du roi, évêque-seigneur de Senez. Les portraits de ces
patrick@0
   166
            sept révérends personnages décoraient cette salle, et cette date
patrick@0
   167
            mémorable, 29 juillet 1714, y était gravée en lettres d'or sur une
patrick@0
   168
            table de marbre blanc.</p>
patrick@0
   169
            <p>L'hôpital était une maison étroite et basse à un seul étage avec
patrick@0
   170
            un petit jardin.</p>
patrick@0
   171
            <p>Trois jours après son arrivée, l'évêque visita l'hôpital. La
patrick@0
   172
            visite terminée, il fit prier le directeur de vouloir bien venir
patrick@0
   173
            jusque chez lui.</p>
patrick@0
   174
            <p>– Monsieur le directeur de l'hôpital, lui dit-il, combien en ce
patrick@0
   175
            moment avez-vous de malades ?</p>
patrick@0
   176
            <p>– Vingt-six, monseigneur.</p>
patrick@0
   177
            <p>– C'est ce que j'avais compté, dit l'évêque.</p>
patrick@0
   178
            <p>– Les lits, reprit le directeur, sont bien serrés les uns contre
patrick@0
   179
            les autres.</p>
patrick@0
   180
            <p>– C'est ce que j'avais remarqué.</p>
patrick@0
   181
            <p>– Les salles ne sont que des chambres, et l'air s'y renouvelle
patrick@0
   182
            difficilement.</p>
patrick@0
   183
            <p>– C'est ce qui me semble.</p>
patrick@0
   184
            <p>– Et puis, quand il y a un rayon de soleil, le jardin est bien
patrick@0
   185
            petit pour les convalescents.</p>
patrick@0
   186
            <p>– C'est ce que je me disais.</p>
patrick@0
   187
            <p>– Dans les épidémies, nous avons eu cette année le typhus, nous
patrick@0
   188
            avons eu une suette militaire il y a deux ans, cent malades
patrick@0
   189
            quelquefois ; nous ne savons que faire.</p>
patrick@0
   190
            <p>– C'est la pensée qui m'était venue.</p>
patrick@0
   191
            <p>– Que voulez-vous, monseigneur ? dit le directeur, il faut se
patrick@0
   192
            résigner.</p>
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   193
            <p>Cette conversation avait lieu dans la salle à manger-galerie du
patrick@0
   194
            rez-de-chaussée.</p>
patrick@0
   195
            <p>L'évêque garda un moment le silence, puis il se tourna
patrick@0
   196
            brusquement vers le directeur de l'hôpital :</p>
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   197
            <p>– Monsieur, dit-il, combien pensez-vous qu'il tiendrait de lits
patrick@0
   198
            rien que dans cette salle ?</p>
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   199
            <p>– La salle à manger de monseigneur ! s'écria le directeur
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   200
            stupéfait.</p>
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   201
            <p>L'évêque parcourait la salle du regard et semblait y faire avec
patrick@0
   202
            les yeux des mesures et des calculs.</p>
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   203
            <p>– Il y tiendrait bien vingt lits ! dit-il, comme se parlant à
patrick@0
   204
            lui-même.</p>
patrick@0
   205
            <p>Puis élevant la voix : – Tenez, monsieur le directeur de
patrick@0
   206
            l'hôpital, je vais vous dire. Il y a évidemment une erreur. Vous
patrick@0
   207
            êtes vingt-six personnes dans cinq ou six petites chambres. Nous
patrick@0
   208
            sommes trois ici, et nous avons place pour soixante. Il y a erreur,
patrick@0
   209
            je vous dis. Vous avez mon logis, et j'ai le vôtre. Rendez-moi ma
patrick@0
   210
            maison. C'est ici chez vous.</p>
patrick@0
   211
            <p>Le lendemain, les vingt-six pauvres étaient installés dans le
patrick@0
   212
            palais de l'évêque et l'évêque était à l'hôpital.</p>
patrick@0
   213
            <p>M. Myriel n'avait point de bien, sa famille ayant été ruinée par
patrick@0
   214
            la révolution. Sa soeur touchait une rente viagère de cinq cents
patrick@0
   215
            francs qui, au presbytère, suffisait à sa dépense
patrick@0
   216
            personnelle. M. Myriel recevait de l'état comme évêque un
patrick@0
   217
            traitement de quinze mille francs. Le jour même où il vint se loger
patrick@0
   218
            dans la maison de l'hôpital, M.  Myriel détermina l'emploi de cette
patrick@0
   219
            somme une fois pour toutes de la manière suivante. Nous
patrick@0
   220
            transcrivons ici une note écrite de sa main.</p>
patrick@0
   221
            <p>Note pour régler les dépenses de ma maison.</p>
patrick@0
   222
            <p>Pour le petit séminaire : quinze cents livres.</p>
patrick@0
   223
            <p>Congrégation de la mission : cent livres.</p>
patrick@0
   224
            <p>Pour les lazaristes de Montdidier : cent livres.</p>
patrick@0
   225
            <p>Séminaire des missions étrangères à Paris : deux cents livres.</p>
patrick@0
   226
            <p>Congrégation du Saint-Esprit : cent cinquante livres.</p>
patrick@0
   227
            <p>Etablissements religieux de la Terre-Sainte : cent livres.</p>
patrick@0
   228
            <p>Sociétés de charité maternelle : trois cents livres.</p>
patrick@0
   229
            <p>En sus, pour celle d'Arles : cinquante livres.</p>
patrick@0
   230
            <p>Oeuvre pour l'amélioration des prisons : quatre cents livres.</p>
patrick@0
   231
            <p>Oeuvre pour le soulagement et la délivrance des prisonniers : cinq
patrick@0
   232
            cents livres.</p>
patrick@0
   233
            <p>Pour libérer des pères de famille prisonniers pour dettes : mille
patrick@0
   234
            livres.</p>
patrick@0
   235
            <p>Supplément au traitement des pauvres maîtres d'école du diocèse :
patrick@0
   236
            deux mille livres.</p>
patrick@0
   237
            <p>Grenier d'abondance des Hautes-Alpes : cent livres.</p>
patrick@0
   238
            <p>Congrégation des dames de Digne, de Manosque et de Sisteron, pour
patrick@0
   239
            l'enseignement gratuit des filles indigentes : quinze mille
patrick@0
   240
            livres.</p>
patrick@0
   241
            <p>Pour les pauvres : six mille livres.</p>
patrick@0
   242
            <p>Ma dépense personnelle : mille livres.</p>
patrick@0
   243
            <p>Total : quinze mille livres.</p>
patrick@0
   244
            <p>Pendant tout le temps qu'il occupa le siège de Digne, M. Myriel
patrick@0
   245
            ne changea presque rien à cet arrangement. Il appelait cela, comme
patrick@0
   246
            on voit, <mentioned>avoir réglé les dépenses de sa
patrick@0
   247
            maison</mentioned>.</p>
patrick@0
   248
            <p>Cet arrangement fut accepté avec une soumission absolue par
patrick@0
   249
            mademoiselle Baptistine. Pour cette sainte fille, M. de Digne était
patrick@0
   250
            tout à la fois son frère et son évêque, son ami selon la nature et
patrick@0
   251
            son supérieur selon l'église.  Elle l'aimait et elle le vénérait
patrick@0
   252
            tout simplement. Quand il parlait, elle s'inclinait ; quand il
patrick@0
   253
            agissait, elle adhérait. La servante seule, madame Magloire,
patrick@0
   254
            murmura un peu. M. l'évêque, on l'a pu remarquer, ne s'était
patrick@0
   255
            réservé que mille livres, ce qui, joint à la pension de
patrick@0
   256
            mademoiselle Baptistine, faisait quinze cents francs par an. Avec
patrick@0
   257
            ces quinze cents francs, ces deux vieilles femmes et ce vieillard
patrick@0
   258
            vivaient.</p>
patrick@0
   259
            <p>Et quand un curé de village venait à Digne, M. l'évêque trouvait
patrick@0
   260
            encore moyen de le traiter, grâce à la sévère économie de madame
patrick@0
   261
            Magloire et à l'intelligente administration de mademoiselle
patrick@0
   262
            Baptistine.</p>
patrick@0
   263
            <p>Un jour, – il était à Digne depuis environ trois mois, – l'évêque
patrick@0
   264
            dit :</p>
patrick@0
   265
            <p>– Avec tout cela je suis bien gêné !</p>
patrick@0
   266
            <p>– Je le crois bien ! s'écria madame Magloire, Monseigneur n'a
patrick@0
   267
            seulement pas réclamé la rente que le département lui doit pour ses
patrick@0
   268
            frais de carrosse en ville et de tournées dans le diocèse. Pour les
patrick@0
   269
            évêques d'autrefois c'était l'usage.</p>
patrick@0
   270
            <p>– Tiens ! dit l'évêque, vous avez raison, madame Magloire.</p>
patrick@0
   271
            <p>Il fit sa réclamation.</p>
patrick@0
   272
            <p>Quelque temps après, le conseil général, prenant cette demande en
patrick@0
   273
            considération, lui vota une somme annuelle de trois mille francs,
patrick@0
   274
            sous cette rubrique : <mentioned>Allocation à M. l'évêque pour frais
patrick@0
   275
            de carrosse, frais de poste et frais de tournées
patrick@0
   276
            pastorales</mentioned>.</p>
patrick@0
   277
            <p>Cela fit beaucoup crier la bourgeoisie locale, et, à cette
patrick@0
   278
            occasion, un sénateur de l'empire, ancien membre du conseil des
patrick@0
   279
            cinq-cents favorable au dix-huit brumaire et pourvu près de la
patrick@0
   280
            ville de Digne d'une sénatorerie magnifique, écrivit au ministre
patrick@0
   281
            des cultes, M. Bigot de Préameneu, un petit billet irrité et
patrick@0
   282
            confidentiel dont nous extrayons ces lignes authentiques :</p>
patrick@0
   283
            <p>"– Des frais de carrosse ? pourquoi faire dans une ville de moins
patrick@0
   284
            de quatre mille habitants ? Des frais de poste et de tournées ? à
patrick@0
   285
            quoi bon ces tournées d'abord ? ensuite comment courir la poste dans
patrick@0
   286
            un pays de montagnes ? Il n'y a pas de routes. On ne va qu'à
patrick@0
   287
            cheval. Le pont même de la Durance à Château-Arnoux peut à peine
patrick@0
   288
            porter des charrettes à boeufs. Ces prêtres sont tous ainsi. Avides
patrick@0
   289
            et avares. Celui-ci a fait le bon apôtre en arrivant. Maintenant il
patrick@0
   290
            fait comme les autres. Il lui faut carrosse et chaise de poste. Il
patrick@0
   291
            lui faut du luxe comme aux anciens évêques. Oh ! toute cette
patrick@0
   292
            prêtraille ! Monsieur le comte, les choses n'iront bien que lorsque
patrick@0
   293
            l'empereur nous aura délivrés des calotins. A bas le pape ! (les
patrick@0
   294
            affaires se brouillaient avec Rome). Quant à moi, je suis pour César
patrick@0
   295
            tout seul. Etc., etc."</p>
patrick@0
   296
            <p>La chose, en revanche, réjouit fort madame Magloire. – Bon,
patrick@0
   297
            dit-elle à mademoiselle Baptistine, Monseigneur a commencé par les
patrick@0
   298
            autres, mais il a bien fallu qu'il finit par lui-même. Il a réglé
patrick@0
   299
            toutes ses charités.</p>
patrick@0
   300
            <p>Voilà trois mille livres pour nous. Enfin !</p>
patrick@0
   301
            <p>Le soir même, l'évêque écrivit et remit à sa soeur une note ainsi
patrick@0
   302
            conçue :</p>
patrick@0
   303
            <p>Frais de carrosse et de tournées.</p>
patrick@0
   304
            <p>Pour donner du bouillon de viande aux malades de l'hôpital :
patrick@0
   305
            quinze cents livres.</p>
patrick@0
   306
            <p>Pour la société de charité maternelle d'Aix : deux cent cinquante
patrick@0
   307
            livres.</p>
patrick@0
   308
            <p>Pour la société de charité maternelle de Draguignan : deux cent
patrick@0
   309
            cinquante livres.</p>
patrick@0
   310
            <p>Pour les enfants trouvés : cinq cent livres.</p>
patrick@0
   311
            <p>Pour les orphelins : cinq cent livres.</p>
patrick@0
   312
            <p>Total : trois mille livres.</p>
patrick@0
   313
            <p>Tel était le budget de M. Myriel.</p>
patrick@0
   314
            <p>Quant au casuel épiscopal, rachats de bans, dispenses,
patrick@0
   315
            ondoiements, prédications, bénédictions d'églises ou de chapelles,
patrick@0
   316
            mariages, etc., l'évêque le percevait sur les riches avec d'autant
patrick@0
   317
            plus d'âpreté qu'il le donnait aux pauvres.</p>
patrick@0
   318
            <p>Au bout de peu de temps, les offrandes d'argent affluèrent. Ceux
patrick@0
   319
            qui ont et ceux qui manquent frappaient à la porte de M. Myriel,
patrick@0
   320
            les uns venant chercher l'aumône que les autres venaient y
patrick@0
   321
            déposer. L'évêque, en moins d'un an, devint le trésorier de tous
patrick@0
   322
            les bienfaits et le caissier de toutes les détresses. Des sommes
patrick@0
   323
            considérables passaient par ses mains ; mais rien ne put faire
patrick@0
   324
            qu'il changeât quelque chose à son genre de vie et qu'il ajoutât le
patrick@0
   325
            moindre superflu à son nécessaire.</p>
patrick@0
   326
            <p>Loin de là. Comme il y a toujours encore plus de misère en bas
patrick@0
   327
            que de fraternité en haut, tout était donné, pour ainsi dire, avant
patrick@0
   328
            d'être reçu ; c'était comme de l'eau sur une terre sèche ; il avait
patrick@0
   329
            beau recevoir de l'argent, il n'en avait jamais. Alors il se
patrick@0
   330
            dépouillait.</p>
patrick@0
   331
            <p>L'usage étant que les évêques énoncent leurs noms de baptême en
patrick@0
   332
            tête de leurs mandements et de leurs lettres pastorales, les pauvres
patrick@0
   333
            gens du pays avaient choisi, avec une sorte d'instinct affectueux,
patrick@0
   334
            dans les noms et prénoms de l'évêque, celui qui leur présentait un
patrick@0
   335
            sens, et ils ne l'appelaient que monseigneur Bienvenu. Nous ferons
patrick@0
   336
            comme eux, et nous le nommerons ainsi dans l'occasion. Du reste,
patrick@0
   337
            cette appellation lui plaisait. – J'aime ce nom-là,
patrick@0
   338
            disait-il. Bienvenu corrige monseigneur.</p>
patrick@0
   339
            <p>Nous ne prétendons pas que le portrait que nous faisons ici soit
patrick@0
   340
            vraisemblable ; nous nous bornons à dire qu'il est ressemblant.</p>
patrick@0
   341
          </section>
patrick@0
   342
        </topic>
patrick@0
   343
        <!-- ============================================================== -->
patrick@0
   344
        <topic>
patrick@0
   345
          <head>
patrick@0
   346
            <title>3. A bon évêque dur évêché</title>
patrick@0
   347
          </head>
patrick@0
   348
          <section>
patrick@0
   349
            <p>…</p>
patrick@0
   350
          </section>
patrick@0
   351
        </topic>
patrick@0
   352
      </division>
patrick@0
   353
patrick@0
   354
      <!-- ================================================================ -->
patrick@0
   355
      <!-- =                              Livre 2                         = -->
patrick@0
   356
      <!-- ================================================================ -->
patrick@0
   357
      <division>
patrick@0
   358
        <head>
patrick@0
   359
          <title>Livre 2. La chute</title>
patrick@0
   360
        </head>
patrick@0
   361
        <!-- ============================================================== -->
patrick@0
   362
        <topic>
patrick@0
   363
          <head>
patrick@0
   364
            <title>1. Le soir d'un jour de marche</title>
patrick@0
   365
          </head>
patrick@0
   366
          <section>
patrick@0
   367
            <p>…</p>
patrick@0
   368
          </section>
patrick@0
   369
        </topic>
patrick@0
   370
      </division>
patrick@0
   371
    </division>
patrick@0
   372
patrick@0
   373
    <!-- ================================================================== -->
patrick@0
   374
    <!-- =                                                                = -->
patrick@0
   375
    <!-- =                              Partie 2                          = -->
patrick@0
   376
    <!-- =                                                                = -->
patrick@0
   377
    <!-- ================================================================== -->
patrick@0
   378
    <division>
patrick@0
   379
      <head>
patrick@0
   380
        <title>Partie 2. Cosette</title>
patrick@0
   381
      </head>
patrick@0
   382
      <!-- ================================================================ -->
patrick@0
   383
      <!-- =                             Livre 1                          = -->
patrick@0
   384
      <!-- ================================================================ -->
patrick@0
   385
      <division>
patrick@0
   386
        <head>
patrick@0
   387
          <title>Livre 1. Waterloo</title>
patrick@0
   388
        </head>
patrick@0
   389
        <!-- ============================================================== -->
patrick@0
   390
        <topic>
patrick@0
   391
          <head>
patrick@0
   392
            <title>1. Ce qu'on rencontre en venant de Nivelles</title>
patrick@0
   393
          </head>
patrick@0
   394
          <section>
patrick@0
   395
            <p>L'an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant,
patrick@0
   396
            celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelles et se
patrick@0
   397
            dirigeait vers La Hulpe. Il allait à pied. Il suivait, entre deux
patrick@0
   398
            rangées d'arbres, une large chaussée pavée ondulant sur des
patrick@0
   399
            collines qui viennent l'une après l'autre, soulèvent la route et la
patrick@0
   400
            laissent retomber, et font là comme des vagues énormes. Il avait
patrick@0
   401
            dépassé Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il apercevait, à l'ouest,
patrick@0
   402
            le clocher d'ardoise de Braine-l'Alleud qui a la forme d'un vase
patrick@0
   403
            renversé. Il venait de laisser derrière lui un bois sur une
patrick@0
   404
            hauteur, et, à l'angle d'un chemin de traverse, à côté d'une espèce
patrick@0
   405
            de potence vermoulue portant l'inscription : <mentioned>Ancienne
patrick@0
   406
            barrière no 4</mentioned>, un cabaret ayant sur sa façade cet
patrick@0
   407
            écriteau : <mentioned>Au quatre vents. Echabeau, café de
patrick@0
   408
            particulier</mentioned>.</p>
patrick@0
   409
            <p>Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au
patrick@0
   410
            fond d'un petit vallon où il y a de l'eau qui passe sous une arche
patrick@0
   411
            pratiquée dans le remblai de la route. Le bouquet d'arbres,
patrick@0
   412
            clairsemé mais très vert, qui emplit le vallon d'un côté de la
patrick@0
   413
            chaussée, s'éparpille de l'autre dans les prairies et s'en va avec
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            grâce et comme en désordre vers Braine-l'Alleud.</p>
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            <p>Il y avait là, à droite, au bord de la route, une auberge, une
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            charrette à quatre roues devant la porte, un grand faisceau de
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            perches à houblon, une charrue, un tas de broussailles sèches près
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            d'une haie vive, de la chaux qui fumait dans un trou carré, une
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            échelle le long d'un vieux hangar à cloisons de paille. Une jeune
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            fille sarclait dans un champ où une grande affiche jaune,
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            probablement du spectacle forain de quelque kermesse, volait au
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            vent. A l'angle de l'auberge, à côté d'une mare où naviguait une
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            flottille de canards, un sentier mal pavé s'enfonçait dans les
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            broussailles. Ce passant y entra.</p>
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            <p>Au bout d'une centaine de pas, après avoir longé un mur du
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            quinzième siècle surmonté d'un pignon aigu à briques contrariées,
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            il se trouva en présence d'une grande porte de pierre cintrée, avec
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            imposte rectiligne, dans le grave style de Louis XIV, accostée de
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            deux médaillons planes. Une façade sévère dominait cette porte ; un
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            mur perpendiculaire à la façade venait presque toucher la porte et
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            la flanquait d'un brusque angle droit. Sur le pré devant la porte
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            gisaient trois herses à travers lesquelles poussaient pêle-mêle
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            toutes les fleurs de mai. La porte était fermée. Elle avait pour
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            clôture deux battants décrépits ornés d'un vieux marteau
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            rouillé.</p>
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            <p>Le soleil était charmant ; les branches avaient ce doux
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            frémissement de mai qui semble venir des nids plus encore que du
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            vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait
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            éperdument dans un grand arbre.</p>
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            <p>Le passant se courba et considéra dans la pierre à gauche, au
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            bas du pied-droit de la porte, une assez large excavation
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            circulaire ressemblant à l'alvéole d'une sphère. En ce moment les
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            battants s'écartèrent et une paysanne sortit.</p>
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            <p>Elle vit le passant et aperçut ce qu'il regardait.</p>
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            <p>– C'est un boulet français qui a fait ça, lui dit-elle. Et elle
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            ajouta :</p>
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            <p>– Ce que vous voyez là, plus haut, dans la porte, près d'un clou,
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            c'est le trou d'un gros biscayen. Le biscayen n'a pas traversé le
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            bois.</p>
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            <p>– Comment s'appelle cet endroit-ci ? demanda le passant.</p>
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            <p>– Hougomont, dit la paysanne.</p>
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            <p>Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s'en alla regarder
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            au-dessus des haies. Il aperçut à l'horizon à travers les arbres une
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            espèce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin,
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            ressemblait à un lion.</p>
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            <p>Il était dans le champ de bataille de Waterloo.</p>
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